De l’école à l’âge adulte : parcours de formation et d’emploi en Suisse

N°13, Avril 2018
Thomas Meyer (Université de Berne),

April 17, 2018
How to cite this article:

T. Meyer (2018). De l’école à l’âge adulte : parcours de formation et d’emploi en Suisse. Social Change in Switzerland, N° 13. doi:10.22019/SC-2018-00001

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Résumé

Comment et avec quel résultat les jeunes suivent-ils des formations post-obligatoires en Suisse, et quel est leur positionnement à 30 ans sur le marché du travail ? Quels sont les facteurs déterminants pour un parcours de formation et d’emploi réussi ? L’étude longitudinale suisse TREE (Transitions de l’École à l’Emploi) offre l’opportunité unique d’observer sur une longue période – depuis près d’une décennie et demie – les parcours de formation et d’emploi après la sortie de l’école obligatoire. Dans un premier temps, nos analyses mettent en évidence l’ampleur prise par les transitions entre la formation et l’activité professionnelle jusqu’à la deuxième moitié de la vingtaine et même au-delà. Pour ce qui est des diplômes obtenus, près de la moitié de la cohorte observée quitte le système de formation avec un titre de formation professionnelle initiale. Près de 40% obtiennent un diplôme du degré tertiaire (Hautes écoles et formation professionnelle supérieure). 10% de la cohorte restent sans diplôme de formation post-obligatoire. Dans son ensemble, la situation sur le marché du travail à l’âge de 30 ans est majoritairement favorable : le taux d’activité professionnelle est élevé, le chômage est bas, et le revenu moyen s’établit à près de 6’000 francs bruts par mois.


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Introduction

Dans les sociétés modernes fondées sur le savoir, la formation post-obligatoire est une condition préalable pour pouvoir participer à la vie sociale et, plus particulièrement, pour réussir son entrée sur le marché du travail. Les scénarios de l’Office fédéral de la statistique sur l’évolution du niveau de formation de la population prévoient qu’au cours des prochaines décennies, la moitié de la population résidente adulte sera titulaire d’un diplôme du degré tertiaire (Hautes écoles universitaires, pédagogiques et spécialisées, ainsi que formation professionnelle supérieure) (OFS, 2015). Alors qu’un diplôme du degré secondaire II (fin d’apprentissage, certificat de maturité ou similaire) est devenu une norme sociale, toujours plus de jeunes adultes en Suisse poursuivent leur parcours de formation au degré tertiaire.

En une vingtaine d’années seulement, la part de la population active en Suisse titulaire d’un diplôme de formation du degré tertiaire a doublé, passant de 20 à 40%. La part des personnes actives sans qualification post-obligatoire est en revanche passée de près de 20% à la fin des années 1990 à environ 10% aujourd’hui.[1]

Diverses études montrent que le système de formation suisse est loin d’être à même de couvrir la demande en main-d’œuvre hautement qualifiée sur son propre territoire (Meyer, 2016 ; Schellenbauer et al., 2010 ; SECO et al., 2015). Sur le marché du travail suisse, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée au niveau tertiaire est devenue flagrante surtout depuis l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation avec l’Union Européenne au début des années 2000.

Au bas de l’échelle des qualifications, on constate une hausse sensible du risque d’exclusion du marché du travail pour les quelque 10% quittant aujourd’hui le système de formation sans qualification post-obligatoire. Le taux d’activité professionnelle de ce groupe est, selon l’enquête suisse sur la population active (ESPA), nettement plus bas que celui des personnes actives ayant obtenu au moins un diplôme du degré secondaire II. À l’inverse, ils courent un risque de chômage deux à trois fois plus élevé.[2] Les risques d’exclusion liés à une absence de formation ne se limitent pas au marché du travail formel. Il a été établi à maintes reprises que la formation est aussi en étroite relation avec la participation politique et culturelle, la santé, l’intégration sociale ou la déviance (Bacher et al. 2010 ; Fend et al. 2009 ; CSRE, 2014).

De nombreux éléments indiquent que la pauvreté éducative en Suisse est en grande partie irréversible, durable et très souvent transmise de génération en génération dans les milieux sociaux défavorisés (Bauer & Riphahn, 2007 ; Falcon, 2016). La personne qui n’obtient pas un diplôme de fin d’apprentissage ou un certificat de maturité pendant sa jeunesse, ou en tant que très jeune adulte, présente des risques importants de ne pas le faire plus tard (Schräder-Naef, 1997 ; Schräder-Naef & Jörg-Fromm, 2005). Cela vaut aussi pour les activités de formation continue à l’âge adulte (OFS, 2013).

Dans ce contexte, l’étude longitudinale suisse TREE (Transitions de l’Ecole à l’Emploi) offre l’opportunité unique d’observer et d’analyser sur une longue période – depuis près d’une décennie et demie – les parcours de formation et d’emploi après la sortie de l’école obligatoire. Cet article traite en détail des questions suivantes : comment et avec quel résultat les jeunes suivent-ils des formations post-obligatoires en Suisse, et quels sont les facteurs déterminants pour un parcours de formation réussi ? Comment la cohorte TREE1 se positionne-t-elle à 30 ans sur le marché du travail, et quel est le rapport entre les diplômes de formation acquis et leur situation sur le marché du travail ?

Données et méthode

Les données du présent article se basent sur l’étude TREE, une analyse de cohortes dans toute la Suisse sur le passage de l’école à l’âge adulte. Au cœur de l’étude figurent les parcours de formation et d’emploi qui suivent la sortie de l’école obligatoire. La première cohorte (TREE1), sur les données de laquelle se basent les résultats présentés ici, comprend plus de 6’000 jeunes ayant participé en 2000, c.-à-d. à 15-16 ans, à l’étude PISA (Programme for International Student Assessment) et ayant quitté l’école obligatoire cette même année (TREE, 2016a). Cet échantillon est représentatif des quelque 80’000 jeunes en Suisse, au niveau national et au niveau des régions linguistiques. Les participantes et les participants ont été interrogés au total neuf fois entre 2001 et 2014. Au moment du dernier sondage (2014), ils avaient en moyenne 30 ans, et le taux de réponse était voisin des 50%.

Les résultats présentés dans cet article se basent principalement sur les données du neuvième – et jusqu’à présent dernier – volet de l’enquête 2014. Les détails méthodologiques à ce propos sont décrits précisément dans Scharenberg et al. (2014), ainsi que Gomensoro et al. (2017).

Parcours de formation et d’emploi 2000-2014

Le graphique 1 montre le parcours de formation et d’emploi des jeunes ayant achevé leur scolarité obligatoire en 2000. Sur l’axe vertical sont indiquées les neuf périodes d’observation longitudinale par TREE de 2001 à 2014. L’arbre stylisé n’a pas seulement donné son nom anglais à l’étude longitudinale. Il rend aussi visible plusieurs particularités du système de formation suisse :

  • On remarque dans la partie inférieure du graphique l’importance élevée de la formation professionnelle qui est suivie à son maximum par les deux tiers environ de la cohorte (barres en vert clair, 2002 et 2003).
  • Inversement proportionnel, on constate le faible pourcentage de jeunes, en comparaison internationale, qui fréquentent une école d’enseignement général après la fin de la scolarité obligatoire (lycée, école de culture générale ou similaire ; barres en vert foncé, env. un quart).
  • On remarque également la part importante de jeunes adultes en Suisse ne trouvant pas d’accès direct à une formation post-obligatoire et fréquentant d’abord une solution intermédiaire, en l’occurrence une, voire deux «années-passerelles» (barres en rouge en bas à gauche, env. un cinquième en 2001).
  • À la verticale, on voit pendant combien de temps se prolonge la formation professionnelle pour une partie des adolescents et des jeunes adultes : de 2005 et 2007, c.-à-d. cinq à sept ans après la fin de la scolarité obligatoire, entre 8 et 18% de la cohorte observée se trouvaient encore en formation professionnelle initiale. Ceci est dû, d’une part, aux solutions intermédiaires évoquées plus haut, qui retardent l’entrée dans la formation professionnelle pour certains. D’autre part, l’obtention des diplômes professionnels peut être retardée par des résiliations de contrats d’apprentissage, des interruptions, des redoublements et de nouvelles orientations.
  • La part des jeunes adultes entrant dans la vie active est inversement symétrique au parcours très échelonné de la formation professionnelle initiale (barre en gris, en haut à gauche) : le premier quart de la cohorte observée est active sur le marché du travail dès 2004. Près de dix ans plus tard, en 2014, la part dépasse les trois quarts.
  • Enfin, il faut évoquer la part de jeunes adultes, relativement faible en comparaison internationale, qui suivent une formation de troisième cycle : à toutes les périodes observées, il s’inscrit en deçà des 30% (barres en en violet, en haut à droite).

En 2014, c.-à-d. 14 ans après la sortie de l’école obligatoire et à l’âge moyen de 30 ans, la majorité de la cohorte TREE examinée est passée de la formation initiale à la vie active. Toutefois, encore un sixième environ se trouve à ce moment en formation, la grande majorité au degré tertiaire. Près de 90% de la cohorte exercent une activité professionnelle, exclusivement pour plus des trois quarts, ce qui signifie qu’ils ne suivent pas de formation parallèle. Environ 7% de la cohorte ne sont ni actifs ni en formation.

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À 30 ans, le diplôme le plus élevé de près de la moitié des personnes interrogées dans le cadre de TREE est un diplôme du degré secondaire II, en grande majorité une formation professionnelle initiale achevée (voir Graphique 2). Seul un petit quart (23%) est titulaire d’un diplôme du degré tertiaire A, et un autre sixième (17%) d’un diplôme du degré tertiaire B.[3] Un dixième de la cohorte n’a pas obtenu de diplôme post-obligatoire. Le taux de diplômes du degré tertiaire devrait encore augmenter de quelques points de pourcentage au cours des prochaines années.[4]

L’évolution entre 2007 et 2014 souligne l’ampleur des transitions entre la formation et l’activité professionnelle jusqu’à la deuxième moitié de la vingtaine et même au-delà. Les parcours dans cette phase montrent de plus que ces transitions peuvent tout à fait aller dans les deux sens, c.-à-d. aussi bien de la formation à l’activité professionnelle qu’inversement : comme on peut s’y attendre, les transitions de la formation à la vie active dominent, et la part des personnes actives augmente continuellement d’une période d’observation à l’autre. Cela se manifeste dans le graphique 1 au niveau des «branches» qui montent en diagonale vers le haut à gauche. Le graphique présente néanmoins aussi des «branches» dans le sens inverse (diagonale, vers le haut à droite) : celles-ci symbolisent les jeunes adultes qui retournent en formation après une phase d’activité professionnelle, la plupart du temps au degré tertiaire.

Quels sont les facteurs qui influencent la réussite scolaire en Suisse ?

Les résultats TREE précédents montrent clairement les effets de la ségrégation des élèves au degré secondaire I en Suisse: l’attribution dominante – et largement irréversible – des élèves à des filières séparées au degré secondaire I aboutit souvent à ce que les jeunes ne peuvent pas exploiter suffisam­ment leur potentiel d’aptitudes – avec des conséquences à long terme pour leur parcours de formation post-obligatoire et leur entrée dans la vie active (OFS/TREE, 2003 ; Garnero et al., 2016 ; Meyer, 2009 ; Scharenberg et al. 2014). Même avec de bons résultats, les élèves ayant suivi au degré secondaire I les filières à «exigences de base» (p.ex. section « pratique » en Suisse romande/ « Realschule » ou similaire en Suisse alémanique) ne sont souvent pas en mesure de donner corps à leur potentiel d’apitude au secondaire II et plus loin encore. Le graphique 3 montre leurs chances d’accéder à une formation post-obligatoire exigeante après la fin de l’école obligatoire. Les compétences en lecture selon PISA sont utilisées comme mesure de performance standardisée. En comparaison avec les jeunes de leur âge ayant suivi les filières à «exigences étendues», les perspectives d’accéder à une formation post-obligatoire exigeante sont fortement réduites dans les filières à «exigences de base» : à niveaux de compétences en lecture compara­bles, leurs chances sont quatre fois moindres (7% contre 27%) quand les élèves sont caractérisés par une compétence en lecture faible, et deux fois moindre environ (49 contre 82%) pour un niveau de compétence en lecture élevé.

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De plus, des caractéristiques comme le sexe, le niveau d’éducation et le statut social des parents ou l’origine migratoire, mais aussi la région linguistique ou le degré d’urbanisation sont, dans une large mesure, déterminants pour la réussite scolaire à tous les niveaux du système éducatif suisse. Ces constats sont en contradiction flagrante avec le principe d’équité en matière de prestations.

Dans le contexte du système éducatif suisse qui est fortement segmenté à l’horizontal comme à la verticale, les transitions dans les formations post-obligatoires et les parcours de formation du degré secondaire II sont largement marqués par des discontinuités, des ruptures, des réorientations et des détours. Seulement la moitié environ de la cohorte TREE observée accède directement après la neuvième année de scolarité à une formation (certifiée) du degré secondaire II et achève celle-ci dans les delais prévus (Keller et al. 2010). Cela est aussi visible dans le graphique 1 où en 2005, donc cinq ans après la sortie de l’école obligatoire, encore près d’un quart de la cohorte était en formation du degré secondaire II. De nombreuses analyses montrent que des parcours de formation discontinus, en particulier lors de la transition entre les degrés secondaires I et II, augmentent en soi le risque d’un échec éducatif (voir notamment Scharenberg et al., 2014).

Situation du marché du travail de la cohorte TREE à 30 ans

En règle générale, on peut considérer comme favorable la situation du marché du travail de la cohorte TREE observée (Gomensoro et al., 2017). À l’âge de 30 ans, le taux d’activité professionnelle est globalement élevé, le chômage bas, et avec un revenu moyen d’environ 6’500 francs par mois (brut, équivalent plein temps), la cohorte a déjà atteint le niveau moyen des salaires de l’ensemble des personnes actives en Suisse.[5] Environ 13% des personnes actives ont un emploi précaire, c.-à-d. qu’elles sont sous-occupées, enaggées à durée déterminée ou travaillent sur appel.

Dans la perspective de la thématique centrale de TREE, à savoir la transition entre la formation et la vie active, on constate qu’investir dans la formation en vaut la peine – ou à l’inverse, que l’absence de diplôme de formation post-obligatoire implique des risques sensiblement accrus sur le marché du travail. Par rapport aux jeunes de leur âge mieux formés, le groupe de jeunes adultes non diplômés (env. 10% de la cohorte observée) exerce moins souvent une activité professionnelle et occupe nettement plus souvent des emplois précaires.

D’un point de vue positif, on observe que quatre personnes sur cinq sans diplôme de formation post-obligatoire à 30 ans sont actives et atteignent un revenu moyen (équivalent plein temps) bien au-delà de 5’000 francs. Par ailleurs, la perspective longitudinale donne à penser que sur une période d’observation de plusieurs années, une part importante de ce groupe sait s’affirmer sur le marché du travail (voir Graphique 1).

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Pour ce qui est des diplômés d’une formation du degré tertiaire, on n’est pas sans remarquer l’avantage salarial substantiel en plus du taux d’activité élevé. Les personnes ayant achevé une formation professionnelle supérieure ou étant diplômées d’une haute école gagnent plus de 7’000 francs par mois (équivalent plein temps), alors que les salaires moyens des personnes sans diplôme tertiaire restent en dessous des 6’000 francs (voir Graphique 4).

Quelle conclusion peut-on donc en tirer pour les personnes qui terminent leur parcours de formation au niveau de la formation professionnelle initiale du degré secondaire II ?[6] Ces dernières se distinguent des personnes sans diplôme par un taux plus faible d’emplois précaires. En revanche, pour ce qui est du revenu moyen, du taux d’activité, et du risque de chômage, les deux groupes ne se distinguent pas de manière significative. Il faut toutefois souligner qu’aussi bien les salaires moyens que le risque d’être au chômage varient fortement d’une branche professionnelle à l’autre. Globalement, nos résultats donnent quelques indications sur le fait qu’une formation professionnelle initiale n’est pas (ou plus) le «garant» automatique d’une réussite sur le marché du travail. Bien plus, il semble que cet «effet protecteur» se soit déporté sur les diplômes du degré tertiaire. Qui plus est, plusieurs analyses sur la base des données TREE montrent que sur le marché du travail suisse fortement segmenté, la mobilité professionnelle des apprentis diplômés est faible et va souvent de pair avec des pertes au niveau du salaire (Buchs et al. 2015 ; Mueller & Schweri, 2015 ; Sacchi et al. 2016).

Un autre résultat significatif de nos analyses est que les transitions antérieures dans le système de formation semblent avoir un effetà long terme sur la situation de l’emploi pour les trentenaires. Selon des analyses multivariées (Gomensoro et al., 2017), deux formes de transitions antérieures augmentent plus particulièrement le risque d’être exclu du marché du travail à 30 ans : d’une part, avoir fréquenté la filière se limitant à des exigences dites de base du degré secondaire I ; d’autre part, avoir fréquenté un programme-passerelle ou eu recours à une autre mesure de solution intermédiaire lors du passage entre les degrés secondaires I et II.

Toutefois, le facteur influençant le plus la situation professionnelle des trentenaires reste le sexe – en combinaison avec la situation familiale. Les résultats TREE démontrent clairement dans quelle mesure les parcours professionnels des hommes et des femmes continuent encore aujourd’hui de se différencier. (Au plus tard) avec la naissance des enfants, l’écart ou le «fossé entre les genres» maintes fois établi se creuse aussi au sein de la cohorte TREE : alors que les hommes avec des enfants exercent ou continuent d’exercer pratiquement tous sans exception une activité à plein temps, environ un cinquième de toutes les femmes ayant des enfants quittent (du moins provisoirement) le marché du travail (c.-à-d. n’exercent pas d’activité professionnelle rémunérée). Les trois quarts des mères exerçant une activité professionnelle travaillent à temps partiel, à un taux d’occupation inférieur à 50% dans près de la moitié des cas (voir aussi Giudici et Schumacher, 2017).

Par ailleurs, les résultats TREE montrent que les femmes gagnent nettement moins que les hommes. À 30 ans, l’écart salarial entre les hommes et les femmes au sein de la cohorte TREE s’élève à 800 francs par mois (brut, équivalent plein temps) ; quant à l’écart au niveau du revenu effectif, il est presque deux fois plus élevé, soit environ 1500 francs (voir aussi Graphique 4). Même s’il n’y a pas encore d’analyses approfondies sur cet écart salarial «inexpliqué»[7] à 30 ans, des études antérieures basées sur des données TREE ont déjà établi que les femmes sont concernées par les discriminations salariales dès leur entrée dans la vie active (Bertschy et al. 2014). 

Conclusions et perspectives

Dans un premier temps, nos analyses mettent en évidence l’importance prise par les transitions entre la formation et l’activité professionnelle jusqu’à la deuxième moitié de la vingtaine et même au-delà. Elle s’explique tout d’abord par une grande part de discontinuités, réorientations, ruptures et années intermédiaires qui caractérisent les parcours de formation post-obligatoires de nombreux jeunes en Suisse. D’autre part, quatre adolescents ou jeunes adultes sur dix poursuivent aujourd’hui leur parcours de formation au degré tertiaire – souvent non pas directement après leur diplôme du degré secondaire II, mais après une phase plus ou moins longue d’activité professionnelle.

Près de la moitié de la cohorte observée quitte le système de formation avec un diplôme de formation professionnelle initiale. Environ un quart obtient un diplôme du degré tertiaire A (Haute école pédagogique, spécialisée ou universitaire), un autre sixième un diplôme du degré tertiaire B (formation professionnelle supérieure). 10% de la cohorte restent sans diplôme de formation professionnelle post-obligatoire.

De nombreuses analyses TREE sur les facteurs décisifs pour la réussite éducative soulignent quel rôle majeur jouent, au-delà des performances scolaires, des caractéristiques d’ « origine » comme le sexe, le statut social des parents, le contexte migratoire, mais aussi la région linguistique ou le degré d’urbanisation. Ceci est extrêmement important au vu de l’égalité des chances dans le système éducatif suisse. Le «principe de méritocratie», selon lequel la performance doit compter en tout premier lieu pour la réussite (éducative), est systématiquement et fortement enfreint dans le système éducatif suisse.

Pour ce qui est de la situation sur le marché du travail à l’âge de 30 ans, celle-ci est majoritairement favorable : le taux d’activité professionnelle est élevé, le chômage est bas, et avec un revenu moyen de plus de 6’000 francs par mois (brut, équivalent temps plein), la cohorte a déjà atteint au début de la trentaine le niveau de salaire moyen de l’ensemble des personnes actives en Suisse. Les jeunes adultes sans diplôme de formation post-obligatoire se caractérisent par un risque substantiellement accru d’avoir un emploi précaire. Comparées à ce groupe, les personnes titulaires d’un diplôme de formation professionnelle initiale occupent beaucoup plus rarement un emploi précaire. En revanche, pour ce qui est du revenu moyen, du taux d’activité rémunérée et du risque de chômage, les deux groupes ne se distinguent pas de manière significative.

Quant aux titulaires d’un diplôme de formation du degré tertiaire, on ne peut que constater, à côté du taux d’activité professionnelle particulièrement élevé, l’avantage salarial important par rapport aux non-certifiés du degré tertiaire : la différence s’élève à plus de 1’000 francs par mois (bruts, équivalent plein temps). Globalement, les résultats TREE indiquent que le marché du travail suisse accueille certes bien, voire très bien, les nouveaux arrivants à tous les niveaux de qualification. Mais aussi que la demande de main-d’œuvre hautement qualifiée est particulièrement importante – et (très bien) rémunérée en conséquence. Cela est notamment corroboré par le fait que depuis le début du millénaire, plusieurs dizaines de milliers de personnes arrivent chaque année de l’étranger pour travailler en Suisse. La moitié d’entre elles sont titulaires d’un diplôme de formation du degré tertiaire (voir SECO et al. 2015). Dans ce contexte, une perméabilité accrue du système de formation suisse – surtout en direction du degré tertiaire – serait donc opportune et ce, pas uniquement pour des raisons d’égalité des chances. Au vu de ce «manque de tertiarisation» éclatant sur le marché du travail suisse, elle contribuerait également à améliorer l’approvisionnement « domestique » en diplômés hautement qualifiés.

 

[1] Cf. les indicateurs en ligne, actualisés en continu, de la formation et du marché du travail de l’Office fédéral de la statistique www.bfs.admin.ch , consultés le 10.1.2018.

[2] Cf. ibid.

[3] Le degré tertiaire A comprend les Hautes écoles universitaires, pédagogiques et spécialisées. Le degré tertiaire B comprend les formations professionnelles supérieures avec les écoles supérieures, les examens professionnels supérieurs et maîtrises.

[4] En 2014, environ 7% de la cohorte observée suivaient une formation du degré tertiaire et n’avaient pas (encore) de diplôme tertiaire. D’autre part, une (petite) part des titulaires en 2014 d’un diplôme du degré secondaire II devrait encore commencer (et achever) une formation du degré tertiaire.

[5] www.bfs.admin.ch , rubrique Travail et rémunération, sous-rubrique Salaires, revenu professionnel.

[6] En grande majorité avec un apprentissage (c.-à-d. un certificat fédéral de capacité CFC).

[7] C.-à-d. la part de l’écart de salaire qui ne peut pas être expliqué par des différences au niveau des caractéristiques de qualification, des exigences, de la position hiérarchique, de l’ancienneté, de l’appartenance à un secteur et autres caractéristiques.

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