Les femmes à la tête des grandes entreprises suisses : une analyse historique des inégalités de genre

N°7, novembre 2016
Stéphanie Ginalski (Université de Lausanne),

November 24, 2016
How to cite this article:

S. Ginalski (2016). Les femmes à la tête des grandes entreprises suisses : une analyse historique des inégalités de genre. Social Change in Switzerland, N° 7. doi:10.22019/SC-2016-00007

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Résumé

La récente proposition du Conseil fédéral visant à introduire des quotas de femmes dans les entreprises suisses suscite de vifs débats. Cet article aborde cette question dans une perspective historique, en revenant sur les facteurs qui ont contribué à l’exclusion durable des femmes des postes de pouvoir dans les plus grandes firmes. Durant la majeure partie du 20e siècle, les élites économiques suisses constituent un bastion masculin. Le processus de recrutement des dirigeants, qui repose sur une logique de cooptation et d’entre-soi, permet d’exclure presque totalement les femmes. Dès les années 1970, certaines femmes actives en politique ouvrent une première brèche, à la suite de l’instauration du suffrage féminin au niveau fédéral, et font leur entrée dans les conseils d’administration des grandes firmes du secteur de la distribution. Puis, dès les années 1990, deux facteurs contribuent à la féminisation progressive des conseils d’administration. Le Conseil fédéral favorise une politique d’égalité de genre dans les entreprises proches de la Confédération, et le processus de globalisation et d’internationalisation de l’économie contribue à affaiblir la cohésion des élites économiques, les femmes faisant leur entrée dans certaines multinationales. La Suisse reste cependant très en retard en comparaison des pays européens.


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Introduction

En décembre 2015, le Conseil fédéral a présenté un projet visant à introduire un quota de femmes dans les entreprises suisses [1]. L’objectif est d’atteindre 30% de femmes dans les conseils d’administration et 20% dans les directions générales. Deux ans plus tôt, le Conseil fédéral avait déjà décidé que la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises proches de la Confédération devait augmenter pour atteindre 30% [2]. Ces différentes initiatives, qui s’expliquent par le retard considérable accumulé par la Suisse en matière de représentation des femmes dans les plus hautes fonctions des firmes, ont suscité une vive opposition des milieux économiques, peu enclins à se laisser dicter leur conduite par les autorités publiques. Les femmes elles-mêmes sont partagées sur la question, certaines craignant que cette mesure ne décrédibilise leurs compétences.

De nombreuses voix s’élèvent cependant en faveur des quotas, appliqués à l’heure actuelle par la plupart des pays d’Europe ayant décidé de suivre l’exemple de la Norvège, pionnière en la matière. Un argument fréquemment mobilisé consiste à dire qu’une plus grande diversité au sein du conseil d’administration contribue à une meilleure performance de la firme, et donc à l’accroissement de ses bénéfices. Le genre est ainsi un aspect – important – de la question, qui s’étend également à la dimension ethnique, en particulier aux États-Unis, où le règne d’une élite économique presque exclusivement blanche, protestante et masculine est dénoncé. La problématique de la « diversité » occupe par ailleurs une place importante dans la recherche académique, notamment dans le domaine de la gestion d’entreprise (voir par exemple Campbell & Minguez-Vera 2008 ; sur le cas suisse, Ruigrok et al. 2007).

Qu’ils soient publics ou académiques, les débats sur la « diversité » soulèvent deux problèmes principaux. Pour commencer, ils contribuent fréquemment à reproduire certains stéréotypes sur les différences de genre (Due Billing & Alvesson 2000 ; Landrieux-Kartochian 2005), stéréotypes qui pendant longtemps avaient été mobilisés pour écarter les femmes des positions de pouvoir. Typiquement, l’idée selon laquelle les femmes seraient moins enclines à prendre des risques, ou moins compétitives que les hommes, joue désormais en leur faveur. La crise financière de 2008, qui a largement été interprétée comme la conséquence du comportement d’une élite masculine irresponsable et imprudente (Prügl 2012), a joué en faveur de ce retournement. Par ailleurs, ces débats se focalisent sur la période actuelle et passent ainsi à côté des facteurs politiques et historiques qui ont contribué à exclure durablement les femmes des positions de pouvoir, mais aussi à construire socialement les qualités perçues comme typiquement féminines ou masculines.

Pour dépasser ces faiblesses, cette contribution analyse la présence des femmes au sein des positions dirigeantes des 110 plus grandes entreprises suisses de 1910 à 2010, afin de mieux comprendre leur récente – et relative – intégration. Dans la lignée de l’étude de Eelke Heemskerk et Meindert Fennema (2014) sur le cas néerlandais, je considère cette intégration comme une forme de démocratisation de la position d’élite.

Sources et méthode

Cette étude s’inscrit dans le prolongement d’une recherche financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) intitulée « Les élites suisses au 20e siècle : un processus de différenciation inachevé ? », initiée il y a dix ans [3]. Dans ce cadre, une base de données a été constituée afin de recenser les élites économiques, politiques, administratives et académiques pour six dates-repères couvrant le 20e siècle et le début du siècle suivant : 1910, 1937, 1957, 1980, 2000 et 2010. Les données et analyses présentées dans cette contribution s’appuient sur cette base de données, qui recense à l’heure actuelle environ 23’000 personnes et qui continue d’être alimentée par différentes recherches en cours [4].

Dans la lignée des travaux de C. Wright Mills (1969), nous avons défini comme élites les personnes qui, en raison de la position qu’elles occupent et du pouvoir décisionnel qu’elles détiennent dans la société, sont en mesure d’influencer son évolution. Les élites économiques englobent les dirigeants des 110 plus grandes entreprises helvétiques, sélectionnées, pour les six années retenues, sur la base de différents critères comme le chiffre d’affaires, la capitalisation boursière et le nombre d’employés[5]. Pour chaque entreprise et chaque date, nous avons identifié les principaux acteurs qui influencent la direction stratégique et opérationnelle de l’entreprise, à savoir les membres du conseil d’administration et les dirigeants exécutifs (directeur général et administrateur-délégué). Au final, cette étude porte sur l’échantillon présenté dans le tableau 1 ci-dessous.

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Pour toutes les personnes recensées dans l’échantillon ci-dessus, les données relatives au sexe et à la nationalité ont été entrées dans la base. Par ailleurs, des recherches approfondies sur les femmes ont été effectuées, en croisant de multiples sources telles que le Dictionnaire historique de la Suisse, les almanachs généalogiques de la Suisse, les articles de presse et, pour la période plus récente, les sites web des entreprises.

Un siècle d’exclusion

L’exclusion des femmes des différentes sphères de pouvoir a été mise en évidence par de nombreuses études (pour le 20e siècle, voir par exemple Duby & Perrot 1992). Cette exclusion reste, aujourd’hui encore, particulièrement forte dans la sphère économique. En effet, une récente étude effectuée par la société de conseil aux entreprises Egon Zehnder (2014) a identifié la proportion de femmes présentes dans les organes dirigeants des plus grandes entreprises pour 17 pays européens : la moyenne est estimée à 20,3%, avec de fortes disparités entre les pays (cf. graphique 1).

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir sur la construction historique de la division sexuelle du travail salarié. La Révolution industrielle, qui commence en Angleterre au milieu du 18e siècle et s’étend dès le siècle suivant aux pays dits « développés », instaure une séparation entre foyer et travail, et une distinction genrée des rôles. Le travail salarié est progressivement considéré comme une affaire d’hommes, tandis que les femmes sont confinées au foyer et au travail domestique non rémunéré, ou à des emplois « de deuxième rang » (Scott 1991 : 492). La figure de la femme au foyer se cristallise durant la deuxième moitié du 19e siècle : les élites bourgeoises contribuent à associer au sexe féminin certaines caractéristiques au détriment d’autres, comme la sensibilité plutôt que l’intelligence, et à confiner les femmes dans la sphère privée (Sohn 1992). Même si la présence des femmes sur le marché du travail est en progression constante après la Seconde Guerre mondiale, la division sexuelle du travail instaurée au siècle précédent persiste. Les femmes se retrouvent principalement dans certains secteurs économiques considérés comme « féminins », ou au bas de l’échelle hiérarchique.

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La Suisse n’échappe pas aux tendances générales décrites ci-dessus : jusqu’aux années 1980, les femmes représentent moins de 2% des élites économiques (cf. tableau 2). Dès le tournant du siècle, leur présence au sein des conseils d’administration des grandes entreprises augmente visiblement, même si elle reste faible. Elles restent par contre largement exclues des fonctions de direction exécutive sur l’ensemble de la période considérée. Leur situation ne s’améliore que très légèrement durant la première décennie du 21e siècle.

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Quelques caractéristiques propres au cas suisse contribuent à cette forte exclusion des femmes (voir Mach et al. 2016, chap. 2). Pour commencer, le recrutement des dirigeants économiques repose sur un système de cooptation, qui s’appuie sur une logique d’entre-soi : les membres en place choisissent des personnes appartenant aux mêmes catégories sociales qu’eux, au détriment des femmes et des personnes issues d’un milieu social plus modeste. L’importance du grade militaire dans ce processus – on observe en effet une surreprésentation des officiers parmi les élites économiques – est également un obstacle pour les femmes, puisque le service militaire n’est obligatoire que pour les hommes. Enfin, le fait que les femmes soient exclues du droit de vote et d’éligibilité au niveau fédéral jusqu’au début des années 1970 contribue à les confiner à la sphère privée.

Le capitalisme familial et le rôle invisible des femmes

Les rares femmes qui accèdent aux conseils d’administration des grandes entreprises suisses durant la première moitié du 20e siècle possèdent une caractéristique commune : elles sont liées à la famille qui contrôle la firme. Il s’agit par exemple en 1910 d’Elise Hoffman au sein de l’entreprise chimique bâloise Roche, fondée par son fils et son mari. Cas plus rare, Else Selve-Wieland se retrouve au début des années 1930 à la tête de l’usine métallurgique Selve, à Thoune, à la suite du décès de son mari Walther, qui avait lui-même hérité de l’entreprise de son père Gustav Selve (1842-1908). Dans l’ensemble, les femmes restent cependant absentes des organes décisionnels de l’entreprise familiale, même lorsqu’elles héritent des parts de la société.

Malgré cette absence, les femmes jouent un rôle très important dans la reproduction du capitalisme familial, mais plus informel et donc plus difficile à identifier (sur cette question, voir Nordlund Edvinsson 2016). D’une part, elles entretiennent et développent les réseaux de sociabilité de la famille par l’organisation de grandes réceptions, ou en s’impliquant dans des activités philanthropiques. D’autre part, elles contribuent à nouer ou renforcer des alliances entre les dynasties patronales. Les hommes appartenant à de grandes familles épousent en effet la plupart du temps des femmes de leur rang. Cette « politique d’alliances matrimoniales ciblées » (Sarasin 1998 : 103) leur permet à la fois de préserver ou d’agrandir le patrimoine familial et de maintenir la cohésion sociale du groupe auquel ils appartiennent. À titre illustratif, on peut mentionner le mariage, en 1944, de Louis von Planta (1917-2003) et d’Anne-Marie Ehinger : le premier est président et administrateur-délégué chez Ciba-Geigy, la seconde est la fille de Mathias Ehinger, ancien président du conseil d’administration de la banque privée bâloise Ehinger. Ces stratégies d’alliance jouent donc un rôle déterminant dans la reproduction de la classe dirigeante et permettent aussi, en l’absence d’héritiers de sexe masculin, de transmettre l’entreprise à un gendre afin de pérenniser l’entreprise familiale.

Le droit d’être citoyenne, un tournant

En 1971 – soit plus de 120 ans après les hommes – les femmes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité au niveau fédéral (voir Studer 1996). L’instauration tardive de ce droit fondamental, en comparaison notamment des autres pays européens, a eu des répercussions au-delà de la sphère politique. En effet, les revendications des mouvements féministes ont, jusqu’au début des années 1970, essentiellement porté sur le suffrage féminin, au détriment par exemple des législations sociales (Schulz 1994). Ceci a renforcé les obstacles rencontrés par les femmes sur le marché du travail, la législation suisse étant particulièrement en retard en ce qui concerne l’aide apportée aux mères : ainsi, l’assurance maternité n’est entrée en vigueur qu’en 2005.

L’extension du suffrage « universel » aux femmes en 1971 favorise un processus de démocratisation dans la sphère économique. En effet, la présence des femmes au sein des plus grandes entreprises suisses au début des années 1980 est marquée par deux changements importants par rapport aux décennies précédentes : elles sont plus nombreuses et leur profil a changé. Ainsi, plusieurs femmes issues de la sphère politique, et souvent engagées pour la cause féministe, accèdent à des positions de pouvoir dans des entreprises non familiales. C’est le cas d’Annie Dutoit (1909-1999), avocate ayant financé elle-même ses études de droit et première femme à présider le Conseil communal de Lausanne en 1968 en tant que membre du Parti libéral, qui entre au conseil d’administration des grands magasins Innovation en 1972 et accède à sa présidence en 1979. Si le monde des grandes entreprises s’ouvre lentement aux femmes, cette ouverture se limite cependant à un secteur économique particulier, celui de la grande distribution, lié à la consommation : en effet, sur les dix-sept femmes recensées en 1980, treize sont présentes dans ce secteur, à l’instar d’Annie Dutoit. Les femmes entrent ainsi au conseil d’administration de la Coop, de Jelmoli – qui est alors la plus grande entreprise suisse de vente de vêtements par correspondance – de la coopérative d’achat Union Schweizerischer Einkaufs-Gesellschaft Olten (Usego), ou encore de la Migros, dont le conseil compte pas moins de cinq femmes en 1980. Les dirigeants de ces entreprises, qui visent un public essentiellement féminin – et plus précisément les femmes au foyer – espèrent très probablement mieux connaître leurs clientes en nommant des femmes au sein de leur conseil d’administration, et améliorer ainsi leurs profits.

La globalisation économique et l’augmentation de la présence des femmes

Dans les années 1990, le système de gouvernance d’entreprise suisse est marqué par de profonds changements qui contribuent à la progression de la présence des femmes au sein des élites économiques. La Suisse, qui faisait jusqu’alors partie des économies de marché coordonnées, se rapproche du modèle libéral sous l’effet de l’accélération de la globalisation économique (David et al. 2015). Le capitalisme familial connaît un certain déclin avec l’apparition du capitalisme financier (Ginalski 2015). Le profil des élites se transforme et les ressources nationales, comme le fait d’avoir un grade militaire, perdent de leur importance au profit de compétences acquises au niveau international (Bühlmann et al. 2013).

Ces différents changements contribuent à affaiblir la cohésion des anciennes élites économiques et permettent l’arrivée de nouveaux groupes d’acteurs jusqu’alors exclus. Le processus bénéficie en premier lieu aux étrangers : alors que depuis la Première Guerre mondiale et jusqu’aux années 1980, ceux-ci représentaient moins de 5% des dirigeants des 110 plus grandes firmes suisses, leur proportion s’élève à 35,5% en 2010. Mais, dans la foulée, les femmes ont aussi réussi à agrandir la brèche ouverte dans les années 1970. Leur présence au sein des organes décisionnels des plus grandes entreprises connaît en effet une croissance conséquente par rapport aux décennies précédentes, passant de 1,9% en 1980 à 8,9% en 2010 (cf. tableau 2 supra). Ainsi, 33,6% de ces firmes ont au moins une femme au sein de leur conseil d’administration. En outre, les femmes ne sont désormais plus confinées dans le secteur de la distribution (graphique 2).

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De manière générale, les femmes sont mieux représentées dans les entreprises publiques ou proches de la Confédération, plus enclines à mettre en place une politique d’égalité de genre. Ainsi, la Poste compte aujourd’hui 33% de femmes dans son conseil d’administration. Par ailleurs, certaines multinationales des secteurs des machines, de la chimie ou de la finance (banques et assurances) mettent en place des stratégies de diversity management qui contribuent également à une féminisation de leurs conseils. Enfin, dans de très rares cas, les femmes accèdent même à la direction générale de la firme, à l’instar de Magdalena Martullo-Blocher (née en 1969), qui devient directrice générale d’Ems Chemie en 2004, lorsque son père, Christoph Blocher, rejoint le Conseiller fédéral et vend ses parts de l’entreprise à ses quatre enfants. Plus récemment, Monika Ribar (née en 1951) est devenue la première femme présidente du conseil d’administration des Chemins de fer fédéraux suisses (CFF), succédant ainsi à Ulrich Gygi. Sa nomination a suscité de nombreuses critiques à l’interne, certains dénonçant une élection « pro-quota », et ce en dépit de son expérience professionnelle comme directrice générale du groupe de logistique et transport Panalpina. Ces deux exemples représentent cependant l’exception qui confirme la règle, selon laquelle les femmes restent globalement exclues de ce type de fonction.

Conclusion

Aujourd’hui encore, les élites économiques suisses représentent un bastion masculin, où l’exclusion des femmes est particulièrement enracinée. Si la sous-représentation des femmes dans les plus hauts postes à responsabilités du secteur privé s’observe au-delà des frontières helvétiques (voir Blanchard et al. 2009), la Suisse est particulièrement à la traîne. L’absence durable des femmes à la tête des grandes entreprises s’explique en partie par des facteurs historiques. En effet, l’importance de l’armée dans le processus de recrutement des élites économiques, qui repose sur un système de cooptation, et le fait que seuls les hommes bénéficient du droit de vote et d’éligibilité au niveau fédéral jusqu’au début des années 1970, ont joué un rôle déterminant.

Durant la majeure partie du 20e siècle, les rares femmes présentes dans les conseils d’administration sont liées aux familles possédant l’entreprise. Dans cette période marquée par la prépondérance du capitalisme familial, le rôle principal des femmes est cependant relégué à la sphère privée, où elles assurent, en tant que mères et épouses, la transmission des fonctions de pouvoir au sein des firmes. L’extension du suffrage « universel » aux femmes constitue une étape charnière et contribue au processus de démocratisation de l’accès au pouvoir dans la sphère économique. Dès les années 1970, plusieurs femmes ayant accompli une carrière politique, souvent engagées dans la cause féministe, font leur entrée dans les conseils d’administration de firmes non familiales. Les années 1990 représentent un deuxième tournant : les pressions induites par la globalisation et l’internationalisation croissante de l’économie remettent en question l’ancien modèle de gouvernance d’entreprise suisse, ce qui permet aux femmes d’ouvrir un peu plus la brèche percée par leurs prédécesseures. Si leur présence au sein des conseils d’administration a considérablement augmenté depuis la fin du 20e siècle, elles restent cependant largement exclues des postes de direction générale, où se concentre le pouvoir.

La féminisation des conseils d’administration reste par ailleurs faible en comparaison des autres pays occidentaux, qui ont pour la plupart pris des mesures politiques à cette fin. Les autorités suisses, fidèles à leur tradition d’intervention minimale dans la sphère économique, ont tardé à proposer l’introduction de quotas. La question de savoir si le projet actuel du Conseil fédéral allant dans ce sens vaincra les vives oppositions des milieux économiques reste ouverte. L’égalité entre hommes et femmes risque ainsi d’être encore longue à atteindre.

 

 

 

[1] http://www.ejpd.admin.ch/ejpd/fr/home/aktuell/news/2015/2015-12-04.html

[2] https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-50856.html

[3] Je remercie tous mes collègues qui ont participé au projet et en particulier Felix Bühlmann, Thomas David, André Mach et Pierre Eichenberger pour leurs commentaires sur cette contribution. Merci également à Patricia Pacheco Delacoste pour sa relecture.

[4] Pour plus d’information, voir le site de l’« Observatoire des élites suisses » (Obelis), qui regroupe les différent·e·s chercheur·e·s associé·e·s aux projets achevés et en cours sur les élites suisses : www.unil.ch/obelis/home. Une partie de la base de données utilisée dans cette contribution peut y être consultée.

[5] Pour plus de détails, voir David et al. (2015 : 477-501), qui donne la liste détaillée des entreprises pour chaque année.

Bibliographie

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