L’inégalité salariale entre hommes et femmes commence bien avant la fondation d’une famille

N°18, Juin 2019
Benita Combet (LMU Université de Munich & Centre LIVES) & Daniel Oesch (Université de Lausanne & Centre LIVES),

June 7, 2019
How to cite this article:

B. Combet & D. Oesch, L’inégalité salariale entre hommes et femmes commence bien avant la fondation d’une famille. Social Change in Switzerland N° 18. DOI: 10.22019/SC-2019-00003

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Résumé

En Suisse, les salaires féminins continuent d’être inférieurs aux salaires masculins. Cette différence est souvent expliquée par une répartition inégale des tâches au sein du ménage. Selon cet argument, l’écart des salaires se creuse après la naissance d’un enfant, quand les hommes se concentrent sur le travail rémunéré et les femmes sur les responsabilités familiales. Nous examinons cet argument en comparant les salaires d’une cohorte de jeunes hommes et femmes âgés de 20 à 30 ans qui n’ont pas d’enfants. Notre analyse utilise deux enquêtes de panel (TREE et l’Enquête auprès des diplômés des hautes écoles) et montre que l’écart salarial entre hommes et femmes se creuse dès l’entrée sur le marché du travail. Même en tenant compte des différences de formation, d’expérience et de profession, nous trouvons une différence de salaire inexpliquée de quatre à cinq pour cent. Exprimé en salaire annuel, cet écart signifie que les jeunes femmes sans enfant touchent un demi-mois de salaire de moins pour les mêmes attributs productifs. De toute évidence, la répartition des rôles au sein du ménage n’est pas la seule cause de l’inégalité salariale entre les sexes.


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Introduction

Les femmes ont comblé leur écart par rapport aux hommes dans des domaines clés de la vie sociale, que ce soit au niveau de la formation ou en politique. Toutefois, le marché du travail continue d’être un domaine où les inégalités restent importantes. Les femmes gagnent ainsi en Suisse en moyenne 20% de moins par heure que les hommes (OFS 2019a). Environ deux tiers de cette différence s’expliquent par des caractéristiques objectives comme l’ancienneté, le statut professionnel ou le secteur. Mais un tiers reste inexpliqué et indique une discrimination fondée sur le sexe (CES et OFS 2013 : 10).

Les économistes justifient souvent cet écart salarial inexpliqué par la maternité et la répartition des tâches au sein du couple (Becker 1985, Polachek 2006). Alors que les pères se concentrent sur l’emploi rémunéré, les mères s’occupent davantage des enfants et du ménage et travaillent donc souvent à temps partiel. La disparité entre les trajectoires professionnelles des femmes et des hommes s’accroît ainsi au fur et à mesure que les femmes accumulent moins d’expérience sur le marché du travail, profitent moins des formations continues et ont moins d’opportunités de carrière. Ainsi, l’inégalité salariale entre les sexes ne serait pas causée par les comportements discriminatoires des employeurs, mais s’expliquerait par les décisions prises à l’intérieur des ménages. Ces dernières années, cette hypothèse a été diffusée avec grand zèle par une partie des médias.[1]

Notre article soumet cette explication à un test empirique. Nous examinons ainsi l’évolution des salaires d’une cohorte de jeunes adultes sans enfants. Cela nous permet de comparer les salaires d’hommes et de femmes de moins de 30 ans, et donc avant le début d’une éventuelle répartition du travail rémunéré et des tâches domestiques en fonction du sexe. Si l’inégalité salariale résulte exclusivement d’une répartition inégale des rôles au sein des couples avec enfants, nous ne devrions pas constater de différences salariales entre les jeunes hommes et les jeunes femmes sans enfants ayant la même formation, la même expérience et la même activité professionnelle.

Notre enquête se base sur l’enquête TREE (Transitions de l’École à l’Emploi) qui a interrogé, entre 2000 et 2014, une dizaine de fois plusieurs milliers d’une cohorte de jeunes de 16 à 30 ans. Pour vérifier la robustesse de nos résultats, nous répliquons notre analyse avec une deuxième base de données : l’Enquête auprès des diplômés des hautes écoles de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Cette enquête permet de suivre l’évolution salariale de la même cohorte de naissance un an et cinq ans après l’obtention d’un diplôme d’une haute école.

Résultats antérieurs sur l’inégalité salariale en Suisse

Depuis 2000, plusieurs études menées en Suisse ont examiné l’inégalité de salaire entre hommes et femmes en se basant sur l’Enquête sur la structure des salaires. Au fil du temps, l’écart salarial entre les sexes qui ne peut être expliqué par les qualifications, la profession ou le secteur – soit la « différence inexpliquée » – s’est légèrement réduit. Il était de 11% en 1998 et 2000 (Sousa-Poza 2002, Strub et al. 2008), est descendu à environ 9% en 2008 et 2010 (Strub et Stocker 2010, Donzé 2013) et stagne depuis entre 7% (2014) et 8% (2016) (Strub et Bannwart 2017, OFS 2019a). Extrapolé sur une année, cela signifie qu’avec un profil professionnel comparable, les femmes touchent un mois de salaire en moins que les hommes.

Les études qui comparent les salaires des hommes et des femmes en début de carrière sont peu nombreuses. Pour la Suisse, deux analyses transversales des données TREE montrent que les jeunes femmes gagnent 7% de moins que les jeunes hommes avec les mêmes qualifications et la même activité professionnelle (Bertschy et al. 2014 : 297, Korber 2019 : 113). Cette inégalité salariale correspond globalement aux résultats des autres pays européens. L’écart salarial inexpliqué s’inscrit entre 5 et 10% chez les jeunes diplômé-e-s universitaires en Allemagne (Ochsenfeld 2014 : 544, Francesconi and Parey 2018 : 74), autour de 8% chez les jeunes adultes du Panel des ménages  britannique (Manning et Swaffield 2008 : 986) et à 10% environ selon les données de registre finlandaises (Napari 2009 : 140). Cependant, ces études ne visent pas à savoir dans quelle mesure cet écart salarial est causé par une répartition inégale des tâches dans la famille.

La division de travail au sein des ménages comme cause de l’écart salarial

Traditionnellement, l’inégalité salariale entre les sexes a été expliquée par des différences au niveau de la formation et de l’expérience sur le marché du travail (Becker 1985). Toutefois, au cours des dernières décennies, le niveau de formation des hommes et des femmes n’a cessé de converger et, dans la plupart des pays, la part de jeunes femmes titulaires d’un diplôme universitaire dépasse désormais celle des jeunes hommes, y compris en Suisse (OCDE 2018: tableau A1.2). Comme les différences de formation et d’expérience professionnelle ont diminué davantage que les différences de salaire entre les sexes, il doit y avoir d’autres raisons liées à l’inégalité salariale.

Une nouvelle approche explique l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes par la répartition des tâches domestiques au sein du ménage. L’argument central est qu’après la naissance d’un enfant, les hommes se concentrent sur un emploi rémunéré alors que les femmes s’occupent principalement des enfants.[2] Cette responsabilité plus grande dans l’éducation des enfants conduit les femmes à avoir davantage d’interruptions dans leurs carrières professionnelles, à cumuler moins d’expérience professionnelle, à opter pour des horaires de travail plus courts, à préférer les emplois conciliables avec la vie de famille aux emplois mieux rémunérés, à être promues moins souvent et donc à décrocher petit à petit en termes de salaire par rapport aux hommes. Sur le plan politique, cet argument est important, car il détourne l’attention publique du rôle joué par les employeurs vers celui joué par les décisions privées au sein des couples.

La discrimination comme cause de l’inégalité salariale

Une autre hypothèse attribue l’inégalité salariale inexpliquée entre les sexes à la discrimination. Contrairement à ce qu’enseignent les manuels économiques, les salaires ne sont pas seulement déterminés par la productivité individuelle (difficilement mesurable). Dans la pratique des négociations, ils sont également influencés par les positions de pouvoir et les normes sociales dominantes.

La norme sociale qui donne la priorité aux hommes sur le marché du travail joue un rôle particulièrement important. Cette norme sociale est fortement ancrée en Suisse[3] – et elle se traduit par des salaires de référence plus élevés pour les hommes (Lalive et Stutzer 2010). De fait, plusieurs enquêtes à méthode expérimentale montrent que les hommes se voient systématiquement offrir des salaires plus élevés que les femmes, bien que les candidats (fictifs) ne diffèrent que par leur sexe. On observe un tel résultat non seulement pour la Suisse (Jann 2003), mais aussi en Allemagne (Auspurg et al. 2017) et aux États-Unis (Jasso et Webster 1997).

Une autre cause potentielle du salaire inférieur des femmes pourrait être la « discrimination statistique » exercée par les employeurs. En Suisse, plus de 80% des femmes réduisent leur temps de travail après la naissance de leur premier enfant, voire se retirent complètement du marché du travail (Giudici et Schumacher 2017, OFS 2019b). Il est possible que les employeurs s’attendent systématiquement à ce que toutes les femmes fassent de même et soient donc, dès le départ, moins disposés à investir dans la carrière de leurs employées féminines.

Bases de données

Notre étude examine comment les salaires des femmes et des hommes sans enfants évoluent au cours des premières années qui suivent leur entrée dans la vie active. Comme il s’agit de jeunes adultes sans enfants, la division du travail au sein des couples n’influence pas les salaires. Il est bien sûr possible que de jeunes adultes anticipent la parentalité et la répartition du travail selon le sexe et choisissent leur formation professionnelle et leur carrière en conséquence. Toutefois, dans la mesure où les jeunes hommes et les jeunes femmes ont une qualification et une expérience professionnelles similaires et exercent des professions dans des secteurs comparables, ils devraient toucher le même salaire, quels que soient leurs projets d’avenir.

Pour notre analyse, nous utilisons les données de l’étude TREE. Il s’agit d’une enquête nationale d’une cohorte de jeunes qui ont été sondées pour la première fois en 2000 quand ils étaient en dernière année de scolarité obligatoire et avaient participé au test PISA. Cette cohorte TREE a ensuite fait l’objet de neuf enquêtes subséquentes, la dernière datant de 2014 quand les jeunes adultes étaient âgés de 30 ans environ (Gomensoro et Meyer 2017).

Cette enquête présente plusieurs avantages. Elle informe non seulement sur les compétences scolaires grâce au test PISA, mais contient également des informations détaillées sur les parcours de formation (diplômes et domaines d’études) ainsi que sur l’activité professionnelle. Contrairement à l’enquête sur la structure des salaires, TREE mesure l’expérience de travail effective.[4] De plus, les exigences du travail sont mesurées à l’aide de trois indicateurs : l’autonomie, la diversité des tâches et les contraintes de l’environnement de travail (p. ex. poussière ou températures extrêmes). Enfin, TREE fournit aussi des informations sur l’attitude des répondants à l’égard du travail, du couple et de la famille.

Comme TREE suit une cohorte de jeunes, les répondants qui sont titulaires d’un diplôme tertiaire fournissent moins d’observations salariales pour l’analyse car ils entrent plus tard sur le marché du travail. C’est pourquoi nous répliquons nos résultats avec une deuxième étude longitudinale, l’Enquête auprès des diplômés des hautes écoles (EHA) de l’OFS. Cette étude concerne des personnes ayant obtenu un diplôme universitaire en 2008 et ayant été interrogées un an et cinq ans après la fin de leurs études (2009 et 2013). Nous limitons l’analyse de cette enquête aux diplômés faisant partie de la même cohorte de naissance que les personnes interrogées de TREE (voir Combet et Oesch 2019).

Nos deux enquêtes de panels présentent aussi deux faiblesses. Premièrement, le nombre d’observations est faible. Si nous limitons l’échantillon aux adultes qui gagnent un salaire et n’ont pas d’enfants (et excluons par conséquent les personnes inactives et les indépendants), il nous reste 3635 observations salariales dans TREE et 1136 dans EHA. Deuxièmement, les salaires indiqués dans les deux ensembles de données sont fournis par les répondants eux-mêmes et donc plus exposés à des erreurs de mesure que dans l’Enquête sur la structure des salaires, où les données sont fournies par les entreprises.

Méthode d’analyse

La variable qu’il s’agit d’expliquer dans notre étude sont les salaires bruts mensuels. Nous les standardisons pour un poste à plein temps de 40 heures par semaine (corrigés par l’inflation). Le principal défi des études sur l’égalité salariale est de comparer des hommes et des femmes aussi semblables que possible en termes de formation et d’activité professionnelles. Notre solution consiste, dans un premier temps, à aligner les hommes et les femmes en fonction de leur qualification avant leur entrée sur le marché du travail. Cette méthode d’appariement – « matching » en anglais – permet de rendre les deux groupes comparables.

Dans un deuxième temps, nous utilisons une méthode de régression pour prendre en compte d’autres variables de contrôle liées au marché du travail.[5] Au-delà de la profession exercée, du secteur, du nombre de postes antérieurs, de l’ampleur et des exigences du poste actuel, il s’agit ici de tenir compte de l’expérience professionnelle et d’éventuelles formations continues.

Enfin, dans un troisième modèle, nous tenons également compte des différences d’attitude des répondants vis-à-vis du travail, du couple et de la famille, ainsi que leur état civil. Comme ces variables de contrôle n’indiquent rien sur la productivité d’un employé, elles ne devraient pas être incluses dans une analyse de l’égalité salariale (Strub et Bannwart 2017 : 25). Néanmoins, nous présentons ci-après des résultats pour ce modèle afin d’examiner l’argument selon lequel les différences salariales entre les jeunes femmes et les jeunes hommes peuvent s’expliquer par des valeurs différentes vis-à-vis du travail et de la famille.

Caractéristiques des jeunes hommes et femmes en Suisse

Dans un premier temps, nous comparons les qualifications et les activités professionnelles entre les deux sexes (voir tableau 1). Contrairement aux cohortes plus âgées, les jeunes femmes en Suisse ne sont pas moins qualifiées que les jeunes hommes et le pourcentage de femmes titulaires d’un diplôme universitaire ou d’une haute école spécialisée est même légèrement supérieur à celui des hommes. En moyenne, les femmes de notre échantillon affichent des compétences en lecture plus élevées que les hommes. Elles sont donc plus à même de comprendre et d’utiliser des textes – une compétence essentielle dans la vie professionnelle.

Au cours des premières années sur le marché du travail, le comportement des femmes et des hommes est aussi très semblable. Dans notre échantillon, les femmes disposent de la même expérience de travail et travaillent plus souvent le soir et en fin de semaine. En revanche, les hommes sont occupés dans des entreprises un peu plus grandes et travaillent un peu plus longtemps par semaine. Mais, à la différence des générations plus âgées, cette divergence est minime chez les jeunes adultes sans enfant et ne représente que 1,5 heure par semaine. On ne relève aucune différence quant au nombre de formations professionnelles et formations certifiées suivies après les premières études. Par contre, les femmes et les hommes continuent de choisir des professions différentes. Les hommes sont plus souvent actifs dans les professions scientifiques et artisanales, alors que les femmes travaillent plus souvent dans le secteur des services et comme employées de bureau.

Le tableau 1 montre également que dans notre échantillon, les femmes gagnent en moyenne 4596 francs et les hommes, 4887 francs (salaire calculé pour 40 heures par semaine). Cet écart de 6% est cependant une différence salariale non ajustée, qui peut éventuellement s’expliquer par les (rares) différences au niveau de la formation, du secteur ou du groupe professionnel.

L’écart de salaire inexpliqué entre les jeunes femmes et hommes

Nous estimons des équations salariales dans lesquelles nous prenons en compte tous les caractéristiques individuelles qui peuvent avoir un effet sur les salaires observés. Ainsi, nous pouvons évaluer la partie inexpliquée de l’écart salarial qui n’est pas imputable aux différences entre les sexes en matière de qualification et de profession. C’est pourquoi le tableau 2 présente les résultats de trois modèles différents pour nos deux bases de données.

Notre premier modèle prend uniquement en compte les différences avant l’entrée sur le marché du travail et montre que les femmes ayant une formation comparable gagnent 4 à 4,5% de moins. Si, dans un deuxième modèle, on prend également en compte la situation sur le marché du travail et le type d’activité professionnelle exercée, la différence inexpliquée monte à 4,8%. Ce deuxième modèle montre la différence de salaire inexpliquée et est généralement utilisé pour analyser l’égalité salariale : il contient tous les facteurs déterminants pour le salaire comme le niveau et domaine de formation, l’expérience professionnelle, le groupe professionnel, la taille de l’entreprise et le secteur (voir tableau A.1 en annexe). Enfin, un troisième modèle examine également si la différence salariale peut s’expliquer par des facteurs qui ne devraient pas affecter le salaire comme les valeurs personnelles et l’état civil. Avec ces variables de contrôle, la différence salariale inexpliquée est quelque peu réduite, mais se situe encore entre 3,6% (TREE) et 4,8% (EHA).

Ces différences salariales sont notables car elles concernent des adultes sans enfant qui disposent des mêmes qualifications certifiées, travaillent dans des professions et des secteurs comparables et ont autant d’expérience professionnelle. Cela contredit clairement l’argument selon lequel les différences salariales entre hommes et femmes s’expliquent exclusivement par la répartition des tâches au sein du ménage.

Nous illustrons ces différences à l’aide d’un dernier graphique qui montre les salaires de jeunes femmes et de jeunes hommes dans trois profils professionnels courants : dans la vente avec un apprentissage, dans l’industrie avec une formation professionnelle supérieure et dans la finance avec un Bachelor universitaire. Nous comparons ici les salaires de jeunes adultes ayant accumulé 18 mois d’expérience professionnelle et travaillant 42 heures par semaine dans une entreprise de taille moyenne (50 à 99 employés) dans le canton de Zurich. Ici encore, le sexe est le seul facteur qui diffère d’un profil professionnel à l’autre. Toutes les caractéristiques déterminantes pour le salaire sont identiques.

Dans le domaine de la vente, au bout d’un an et demi d’expérience professionnelle, les hommes parviennent à franchir le seuil des 4000 francs, alors que les femmes ne gagnent qu’environ 3850 francs. Dans l’industrie, les jeunes hommes ayant une formation professionnelle supérieure gagnent plus de 6000 francs, tandis que les jeunes femmes gagnent moins de 5800 francs. Pour les jeunes diplômé-e-s universitaires travaillant dans le secteur des banques et assurances, les salaires de départ des hommes sont supérieurs de 400 francs à ceux des femmes (après 18 mois d’expérience professionnelle).

Comment évoluent les salaires des hommes et des femmes au cours des premières années suivant leur entrée dans la vie active ? Nos bases de données concernent une cohorte de jeunes adultes qui dispose de peu d’expérience professionnelle au moment de l’enquête : de 2 ans (EHA) à 2,8 ans (TREE) en moyenne. Dans ce court intervalle, nous ne constatons aucune différence significative dans l’évolution des salaires des femmes et des hommes. Dans les premières années suivant la fin de leur formation, les deux sexes bénéficient d’une augmentation salariale annuelle similaire d’environ 3%. En chiffres absolus, cela signifie que les différences salariales se creusent.

Conclusions

« L’inégalité salariale commence par la famille, pas au bureau. »[6] Cet argument est au cœur de notre étude. Si l’inégalité salariale était uniquement due à des investissements différents dans le travail rémunéré et les tâches familiales, les jeunes femmes et jeunes hommes sans enfant devraient toucher le même salaire à compétences et professions égales. Dans notre étude, nous examinons cet argument en nous basant sur une cohorte de jeunes adultes n’ayant pas (encore) d’enfants.

Nos analyses de deux enquêtes différentes montrent que l’écart salarial entre hommes et femmes se creuse dès l’entrée sur le marché du travail. Nos bases de données nous permettent d’exclure les différences entre les sexes en termes de capacité intellectuelle, de niveau de formation, d’expérience professionnelle ou d’activité professionnelle comme cause de cette disparité salariale. Malgré cela, nous constatons une différence salariale inexpliquée de quatre à cinq pour cent entre les jeunes femmes et hommes sans enfant.

Il est possible que nous ayons négligé des critères pertinents et surestimions ainsi l’inégalité salariale. Un argument populaire maintient ainsi que les hommes négocieraient mieux leurs salaires. Selon une vaste méta-enquête, les deux sexes semblent différer peu au niveau des négociations salariales (Mazei et al. 2015). En outre, ces différences seraient davantage la conséquence – et non pas la cause – des écarts salariaux si les femmes anticipent des salaires inférieurs dans les négociations salariales en raison de la discrimination salariale prévalant (Blau et Kahn 2017) : 843).

Il est également possible que nous sous-estimions l’inégalité salariale effective. C’est le cas si les femmes ont, en moyenne, de meilleures caractéristiques non-observées dans les deux enquêtes comme les compétences sociales ou la capacité de travailler en équipe – ou si certaines de nos variables de contrôle sont déjà influencées par la discrimination, comme une position professionnelle plus élevée des hommes.

En fin de compte, il reste une différence de salaire inexpliquée de 4 à 5 pour cent. Convertie en salaire annuel, elle signifie que les jeunes femmes touchent un demi-mois de salaire de moins pour les mêmes attributs productifs. De toute évidence, celui qui ne blâme que les enfants et la famille pour l’inégalité salariale entre les sexes se rend la tâche trop simple.

[1] Voir Frankfurter Allgemeine Zeitung, 18 mars 2019 : « Warum Frauen so wenig verdienen » [Pourquoi les femmes gagnent si peu]. Neue Zürcher Zeitung, 30 octobre 2016 : « Die Lohnungleichheit beginnt mit der Familie, nicht im Büro » [L’inégalité salariale commence par la famille, pas au bureau]. Avenir Suisse, novembre 2015 : « Parité salariale : le marché du travail n’est pas défaillant ».

[2] Cette décision est souvent présentée comme une préférence inhérente des femmes. Pourtant, les comparaisons entre les pays suggèrent qu’elles sont fortement influencées par les attentes de rôles genrés (« les mères devraient s’occuper pleinement de leurs enfants dans les premières années de leur vie »). L’absence de congé parental pour les pères et de structures de garde d’enfants abordables et de bonne qualité aggrave encore la situation (voir Levy 2018).

[3] Ce n’est qu’en 1988 que la disposition a disparu du droit matrimonial suisse selon laquelle le mari, en tant que « chef de communauté… est responsable de l’entretien de la femme et de l’enfant… », tandis que la femme « gère le ménage » et « avec l’autorisation expresse ou tacite du mari… peut exercer une profession ou un métier » (articles 160, 161 et 167 de l’ancien droit matrimonial). Les cohortes nées avant les années 1990 ont donc été socialisées dans un environnement qui attribuait officiellement aux hommes le rôle du principal pourvoyeur des ressources de la famille.

[4] Les milieux patronaux soutiennent que la différence inexpliquée, et donc potentiellement discriminatoire, est surestimée dans l’enquête sur la structure des salaires, car cet ensemble de données ne saisit pas l’expérience professionnelle effective et les exigences mentales et physiques d’un emploi (Gerfin et Kaiser 2015 ; voir aussi le postulat du Conseil des États Ruedi Noser « Égalité salariale. Améliorer la pertinence des statistiques », 02.06.2014 www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20143388. ).

[5] Dans nos données longitudinales, les observations sur les salaires des mêmes personnes sont mesurées de manière répétée. Nous tenons compte de cette structure de données imbriquées en évaluant un modèle à effets aléatoires, que nous combinons à la méthode d’équilibrage d’entropie par correspondance. Nous avons utilisé l’expérience professionnelle et la relation de l’expérience professionnelle avec le sexe de la personne pour examiner si l’évolution des salaires diffère entre les sexes. Pour de plus amples informations, voir Combet et Oesch (2019).

[6] Titre d’un article paru dans la Neue Zürcher Zeitung du 30 octobre 2016.

Anhang

Bibliographie

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