Les intentions contradictoires des Suisses vis-à-vis de leur consommation d’énergie

N°21, Mars 2020
Mehdi Farsi, Sylvain Weber & Laurent Ott (Institut de recherches économiques (IRENE), Université de Neuchâtel),

March 31, 2020
How to cite this article:

Farsi, L. Ott & S. Weber (2020). Les intentions contradictoires des Suisses vis-à-vis de leur consommation d’énergie. Social Change in Switzerland N° 21. DOI: 10.22019/SC-2020-00001

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Résumé

Cet article discute les intentions des ménages suisses de réduire leur consommation d'énergie. Il examine leurs connaissances en matière d'énergie ainsi que l'acceptation et la visibilité de la taxe CO2. Les données utilisées proviennent de l'enquête Swiss Household Energy Demand Survey (SHEDS), effectuée annuellement depuis 2016 sur un échantillon d'environ 5'000 ménages suisses. Notre analyse fait ressortir un écart entre les villes et les communes non urbaines. Bien que la taxe CO2 bénéficie du soutien de la majorité des répondants, elle manque de visibilité. La plupart des gens croient en son efficacité pour les entreprises mais non pour les ménages, et parmi les mé-nages directement concernés, beaucoup ne savent pas qu'ils sont affectés par la taxe. Notre ana-lyse fait également ressortir une disjonction entre les intentions et les connaissances, remettant en question le lien présumé entre information et action.


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Introduction

Les dernières années ont été marquées par une prise de conscience des effets des activités humaines sur le réchauffement climatique. La nécessité et l’urgence d’agir sonnent aujourd’hui comme une évidence pour la majorité d’entre nous. Pourtant, la consommation globale d’énergies fossiles, principale cause du problème, ne cesse d’augmenter. Alors que des politiques économiques visant à réduire la consommation d’énergie sont mises en œuvre, il paraît important de mesurer les intentions de la population d’agir concrètement. Ces intentions peuvent se manifester au niveau de la consommation individuelle, au niveau collectif comme lors d’un vote en faveur de politiques telle que des taxes énergétiques, ou encore par le soutien à des mouvements sociaux en lien avec la “crise climatique”. Cependant, les intentions varient considérablement entre différents groupes de la population. Dans cet article, nous examinons le cas de la population suisse en nous intéressant particulièrement à trois dimensions par rapport auxquelles nous pouvons garantir la représentativité de notre échantillon : le genre, l’âge et la localisation.

Une série de travaux antérieurs ont mis en lumière des incohérences entre les attitudes de la population suisse et son comportement. En particulier, Diekmann et Preisendörfer (1998) ont montré, sur la base d’une enquête réalisée en 1991 sur près de 400 citoyens de Berne, que les attitudes environnementales ne coïncident pas nécessairement avec les comportements, et ce dans différents domaines tels que les transports, l’utilisation d’électricité, le recyclage ou le shopping. Afin de justifier leurs incohérences, trois types de stratégies sont utilisées par les individus. Premièrement, chacun semble concentrer son attention sur les domaines où son comportement est relativement vertueux alors que les autres aspects sont plus ou moins mis de côté (stratégie de réorientation de l’attention). Deuxièmement, les individus préfèrent se comporter de manière respectueuse envers l’environnement dans les domaines où les efforts à faire sont mineurs (stratégie de faible coût, voir aussi Diekmann et Preisendörfer, 2003). Troisièmement, la majorité des individus pensent agir de manière plus respectueuse de l’environnement que la moyenne et estiment par conséquent qu’un changement de leurs habitudes n’est ni nécessaire ni rentable (stratégie de la rationalité subjective).

Diekmann et Meyer (2008) ont effectué une analyse des attitudes et comportements de l’ensemble de la population suisse, en utilisant les Enquêtes suisses sur l’environnement de 1994 et 2007, dans lesquelles environ 2’500 et 3’400 personnes ont respectivement été interrogées. Leurs résultats montrent notamment que la conscience écologique n’influence que modérément le comportement individuel, mais qu’elle exerce cependant une influence positive sur le degré d’approbation des mesures politiques en faveur de l’environnement. Plus récemment, Bruderer Enzler et Diekmann (2019) ont conduit une nouvelle analyse utilisant l’Enquête suisse sur l’environnement de 2007. Leurs résultats montrent que le revenu constitue un déterminant important (à la hausse) des émissions, mais que la conscience écologique exerce également un effet (à la baisse) sur les émissions.

Il existe également une série d’analyses concernant la taxe CO2 en Suisse. Thalmann (2004) a étudié les résultats d’une votation en 2000 portant sur trois propositions de taxes environnementales (toutes refusées par la majorité des votants), qui permettent d’analyser l’acceptabilité sociale de telles taxes. Ses résultats montrent que l’affinité politique et l’éducation sont les deux caractéristiques avec le plus fort impact sur l’acceptation des taxes. Les citoyens avec une orientation politique de gauche et avec un haut niveau d’éducation montrent en effet un taux d’acceptation des taxes environnementales significativement plus élevé. Baranzini et Carattini (2017) ont interrogé 338 personnes du canton de Genève entre décembre 2012 et janvier 2013 afin de déterminer leur soutien aux taxes environnementales. De manière intéressante, il s’avère que seuls 40% sont au courant du fait qu’il existe déjà une taxe CO2 en Suisse. Une proportion élevée des répondants soutient les taxes environnementales, en particulier lorsque le produit des taxes est affecté au financement de projets environnementaux et lorsque l’appellation “contribution climatique” est utilisée en lieu et place de “taxe carbone”. Leurs résultats montrent également que les années d’éducation influencent positivement la probabilité d’accepter une taxe environnementale.

Notre analyse, basée sur une nouvelle enquête réalisée auprès d’un large échantillon représentatif de la population suisse, se place dans la lignée de ces travaux. Bien que plus descriptif que les travaux répertoriés ci-dessus, notre article fournit une image récente des intentions et connaissances de la population suisse concernant différents aspects relatifs à la consommation d’énergie.

Une nouvelle enquête sur la consommation d’énergie

L’enquête Swiss Household Energy Demand Survey (SHEDS) a été développée par le centre de compétences pour la recherche dans les domaines de l’énergie, de la société et de la transition SCCER CREST avec l’objectif d’analyser la consommation d’énergie et les comportements qui s’y rapportent au sein des ménages suisses. L’enquête est réalisée annuellement depuis 2016 auprès d’un échantillon représentatif composé de 5’000 participants issus de toutes les régions du pays, à l’exception du Tessin. Une description plus détaillée du SHEDS est fournie par Weber et al. (2017).

En nous focalisant sur les intentions et les connaissances, nous analysons les différences observées entre les segments de la population. Nous considérons trois groupes d’âge et distinguons les villes, selon la définition de l’Office Fédéral de la Statistique, de l’ensemble des agglomérations et des communes rurales, ci-après appelées “communes non urbaines”. Afin de gagner en précision, nous agrégeons les vagues 2016 à 2019 de l’enquête. L’échantillon comprend ainsi 10’012 personnes. Nous utilisons également un sous-échantillon de 590 répondants de la vague 2019, pour qui une série de questions supplémentaires portaient sur la taxe CO2 et son efficacité.

Intentions de réduction de la consommation d’énergie

À l’heure actuelle, l’effet des activités humaines sur le réchauffement climatique est largement accepté et la volonté d’agir se propage non seulement dans les gouvernements mais également dans la société. Les données du SHEDS permettent de mesurer cette prise de conscience au niveau individuel. En particulier, il est demandé aux participants s’ils ont l’intention, au cours des 12 prochains mois, de réduire (1) leur consommation d’électricité ; (2) leur consommation de chauffage ; (3) l’utilisation de leur voiture ; (4) leur empreinte carbone. Les répondants doivent fournir une réponse sur une échelle allant de 1 “très peu probable” à 5 “très probable”.

La Figure 1 montre les proportions de répondants déclarant vouloir probablement ou très probablement réduire l’utilisation de leur voiture. Globalement, seul un quart des répondants se déclare favorable à une réduction. En ce qui concerne la consommation d’électricité et de chauffage (non présentées ici), on obtient des proportions légèrement supérieures (environ un tiers).

La Figure 2 montre les résultats portant sur les intentions de réduction de l’empreinte carbone. Globalement, la proportion de répondants déclarant vouloir réduire leur empreinte carbone s’élève à 33%. Ainsi, il ressort que les personnes qui envisagent un changement de leur consommation d’énergie sont relativement peu nombreuses. Les résultats suggèrent cependant que les femmes et les jeunes (le groupe d’âge de 18 à 34 ans) ont une meilleure disposition à réduire non seulement leur empreinte carbone, mais également leur consommation d’énergie dans toutes les trois catégories spécifiques. De plus, les personnes habitant dans les villes sont plus disposées à réduire leur empreinte carbone et l’utilisation de leur voiture. Le fait que les réseaux de transports publics sont mieux développés dans les villes qu’en dehors n’est évidemment pas étranger à cette observation.

Les intentions n’ont été relevées que sur trois années consécutives (2017-2019) dans l’enquête SHEDS, de sorte qu’il est difficile de déceler des changements majeurs. Cependant, étant donné l’intensification récente des discussions relatives au climat, on pourrait imaginer que des changements rapides opèrent dans ce domaine. Il apparaît effectivement que la proportion de personnes souhaitant réduire leur empreinte carbone a augmenté de façon significative, passant de 30% en 2018 à 35% en 2019. En revanche, rien de tel ne s’observe dans les intentions relatives à la réduction d’électricité, de chauffage ou de transport. Ainsi, l’écart entre les intentions générales et spécifiques semble se creuser et il apparaît une sorte d’incohérence similaire à celle relevée par Diekmann et Preisendörfer (1998) : bien que les ménages souhaitent apparemment réduire leur consommation d’énergie, la façon concrète dont ils imaginent opérationnaliser cette réduction est moins claire.

Afin de tester plus précisément le soutien pour les mouvements sociaux, un sous-échantillon de la vague 2019 du SHEDS a été questionné sur son soutien (ou rejet) vis-à-vis des grèves pour le climat, qui constituaient un sujet d’actualité important au moment même de l’enquête réalisée dans le courant du mois d’avril. Les résultats indiquent un écart important entre les villes (environ 40% de soutien) et les communes non urbaines (25% de soutien). Le soutien le plus fort se trouve parmi les jeunes femmes (18-34 ans) avec près de 50% de soutien, ce qui est plus ou moins en phase avec les intentions présentées ci-dessus.

Connaissances en matière de consommation d’énergie

Une problématique importante dans le domaine de l’énergie concerne la compréhension de celle-ci et de son impact climatique. L’enquête SHEDS comporte une série de questions permettant de tester les connaissances en matière énergétique. En particulier, on demande aux répondants d’indiquer si les énoncés suivants sont vrais :

  • La plus grande part d’énergie consommée dans un ménage suisse résulte des besoins en chauffage. (vrai)
  • Les émissions de CO2 jouent un rôle crucial dans le réchauffement climatique. (vrai)
  • Le simple fait de diminuer de 1°C la température de chauffage d’un ménage moyen peut faire diminuer la demande de chauffage de 6%. (vrai)
  • Le charbon est une source d’énergie renouvelable. (faux)
  • Les centrales hydroélectriques représentent 10% de la production totale d’électricité suisse. (faux)

En comptant le nombre de bonnes réponses, il est possible de construire un indice de “littératie énergétique” sur une échelle de 0 à 5. Les résultats obtenus représentent une borne supérieure du niveau de connaissance, puisque certains répondants ont peut-être coché la bonne réponse simplement par hasard. Les scores moyens obtenus par chaque segment de la population sont représentés dans la Figure 3. Globalement, on observe un niveau de connaissance relativement élevé, avec des scores entre 3 et 4 bonnes réponses. On remarque cependant des différences non négligeables suivant les caractéristiques sociodémographiques. Ainsi, les hommes et les plus âgés obtiennent des meilleurs scores que les femmes et les plus jeunes. Il ne semble pas y avoir de différences suivant la localisation géographique.

En comparant ces résultats avec les intentions, on constate que même parmi les groupes avec une connaissance relativement bonne en matière d’énergie, les intentions de réduire la consommation restent assez modestes. Les groupes de la population avec les meilleures connaissances (hommes et plus âgés) semblent les moins disposés à modifier leur comportement. La Figure 4 met en relation les intentions de réduire l’empreinte carbone avec la littératie énergétique et illustre la corrélation faible voire négative qui nous amène à déduire qu’un niveau de littératie énergétique plus élevé n’entraîne pas nécessairement une amélioration des intentions. Le simple fait d’informer la population sur des questions d’énergie ne sera donc pas suffisant pour réduire la consommation. Cependant, comme indiqué par Diekmann et Meyer (2008), on peut supposer qu’un niveau de littératie énergétique plus élevé s’accompagne d’une plus grande sensibilité par rapport aux problématiques environnementales. Ainsi, bien que l’information et les connaissances n’impactent sans doute pas la consommation d’énergie de manière directe, il est probable qu’elles facilitent la discussion et l’adoption de mesures politiques visant à réduire les atteintes à l’environnement.

Acceptation et visibilité de la taxe CO2

La taxe CO2 est un outil important de la politique économique suisse visant à réduire la consommation des énergies fossiles. Il est cependant possible que son efficacité soit réduite par son manque de visibilité. En Suisse, la taxe CO2 est prélevée sur les combustibles fossiles utilisés pour le chauffage (mazout et gaz) puis redistribuée à la population via une réduction sur les primes d’assurance-maladie. Ainsi, seule une partie des ménages paie effectivement la taxe, mais tous reçoivent une compensation. Actuellement, le montant de la taxe s’élève à environ 25% à 30% du prix du combustible, ce qui représente généralement un montant compris entre 120 et 500 CHF par an pour un logement de 100 m2, suivant son efficacité énergétique. Depuis 2018, les montants redistribués s’élèvent à plus de 75 CHF par personne et par an.

Afin de déterminer à quel point la taxe CO2 est correctement comprise par les ménages suisses, et en particulier par ceux qui la subissent, les répondants à l’enquête SHEDS sont priés d’indiquer les montants qu’ils pensent payer et recevoir dans ce contexte. La Figure 5 montre les résultats. Dans la Figure 5.A, seuls les ménages dont le système de chauffage (pour le logement ou pour l’eau) utilise du mazout ou du gaz sont considérés. Étant donné leur système de chauffage, tous ces ménages paient un montant non nul en raison de la taxe CO2. On constate que la majorité est consciente de devoir payer quelque chose (nous faisons abstraction des montants indiqués). Cependant, les résultats impliquent également qu’une proportion non négligeable (allant de 22% à 45% suivant les groupes) pense ne rien payer. Cette proportion paraît légèrement plus élevée parmi les personnes âgées et les femmes, mais les différences ne sont pas très significatives. On pourrait d’ailleurs s’attendre à ce que les propriétaires de leur logement soient mieux informés que les locataires, qui ont un accès plus limité à l’information concernant leur facture de chauffage. Pourtant, les connaissances des propriétaires n’apparaissent pas systématiquement meilleures que celles des locataires. Il est donc important de souligner que l’efficacité d’une taxe dépend en bonne partie de sa compréhension par la population. En effet, si les personnes dont le comportement est visé ne connaissent pas la conséquence de la taxe, il est inutile de s’attendre à ce que l’effet recherché soit finalement observé.

Au niveau de la redistribution de la taxe CO2 (Figure 5.B), on remarque une compréhension faible, et ce pour l’ensemble des groupes de la population. En effet, alors que des montants situés entre 67.80 CHF et 88.80 CHF ont été versés annuellement entre 2017 et 2019, moins d’une personne sur cinq indique correctement avoir reçu un montant situé entre 60 et 100 CHF. La plupart des sondés pensent recevoir moins (voire rien du tout) ou ne peuvent simplement pas fournir de réponse. Ces résultats révèlent la mauvaise réputation des taxes en général et une connaissance limitée du fonctionnement de la taxe CO2 en particulier, qui peut être reliée à un manque de visibilité et de communication. Afin de garantir l’efficacité de la taxe CO2, il semble par conséquent important d’effectuer des efforts de communication. On peut également signaler que ces résultats vont dans la même direction que ceux de Baranzini et Carattini (2017), qui ont constaté que la dénomination de la taxe exerce un impact sur son acceptabilité. Utiliser une appellation telle que “contribution climatique” plutôt que “taxe CO2” pourrait ainsi s’avérer favorable.

Un sous-échantillon de 590 sondés de la vague 2019 du SHEDS ont été interrogés sur leur perception de l’efficacité de la taxe CO2. Plus précisément, il leur a été demandé s’ils considéraient que la taxe prélevée sur 1) les ménages et 2) les entreprises était efficace pour réduire les émissions de CO2. Globalement, à l’exception des femmes de plus de 55 ans vivant hors des villes, la taxation des entreprises est perçue comme efficace par une majorité absolue des membres de chaque groupe, avec cependant des niveaux moins élevés chez les habitants des communes non urbaines ainsi que parmi les personnes plus âgées.

En revanche, la taxation des émissions des ménages est perçue comme beaucoup moins efficace par la population, surtout parmi les hommes de moins de 35 ans et les femmes de moins de 35 ans vivant hors des villes. La différence de perception de l’efficacité de la taxe CO2 entre entreprises et ménages est particulièrement marquée chez les habitants des villes ainsi que chez les personnes de moins de 35 ans. Comme le mentionnent Ott & Weber (2018), la faible efficacité perçue de la taxation des ménages s’explique par le fait qu’une grande majorité des Suisses, surtout parmi les habitants des villes, sont des locataires. N’ayant pas un grand pouvoir décisionnel vis-à-vis de l’investissement dans l’efficacité énergétique de leur logement, ils pourraient percevoir — à juste titre donc — que la taxe CO2 est peu efficace au niveau des ménages.

Les 590 répondants précités ont également été appelés à exprimer leur avis concernant la taxation des émissions au travers d’un référendum fictif. On leur a demandé quel serait leur choix s’ils avaient la possibilité de s’exprimer sur la taxe CO2 actuelle lors d’une votation. Leurs réponses suggèrent que le soutien à la taxe CO2 est plutôt élevé chez les personnes de 35 ans et plus, quel que soit leur lieu d’habitation, avec plus de 50% de “oui”, mais il est cependant beaucoup moins important chez les moins de 35 ans, à l’exception des femmes vivant en ville. La faible proportion de votes favorables parmi ceux-ci peut être mise en parallèle avec leur perception de l’efficacité de la taxe CO2 sur les ménages, qui est également inférieure à celle du reste de la population.

En général, les résultats montrent que la taxe CO2 est plutôt bien acceptée par la population, ce malgré certains doutes sur son efficacité. Ce bon niveau d’acceptation est important, étant donné la place prépondérante de cet instrument dans la politique climatique de la Confédération. Une autre question du sondage montre cependant que cette dernière pourrait faire plus au niveau de l’information de la population sur ce sujet : 72% des répondants pensent que les autorités fédérales devraient plus communiquer à propos de la taxe CO2. Il reste toutefois à déterminer à quel point une meilleure communication augmente le soutien de la population. En effet, si Diekmann et Meyer (2008) ont estimé que l’information avait une influence positive, d’autres (e.g., Kallbekken et al., 2011) ont trouvé que plus d’information ne mène pas nécessairement à moins d’aversion pour les taxes environnementales.

Conclusions

Nous avons examiné les intentions déclarées de la population suisse de réduire sa consommation d’énergie et ses connaissances en matière d’énergie. Nous avons également analysé l’acceptation et la compréhension de la taxe CO2. Notre analyse fait ressortir des écarts importants entre différents segments de la population. En général, les femmes, les jeunes, et les habitants des villes présentent des intentions plus marquées de réduire leur consommation ainsi qu’un soutien plus fort pour les mouvements sociaux en faveur du climat. L’écart entre habitants des villes et des communes non urbaines est particulièrement important en ce qui concerne l’utilisation de la voiture.

Nos résultats suggèrent également que pour une bonne partie de la population, la volonté de réduire son impact sur l’environnement est faible voire absente. Pour une autre partie de la population, la volonté est présente mais on constate un manque d’actions concrètes pour se donner les moyens de réduire la consommation d’énergie. On constate ainsi une sorte d’incohérence entre les intentions générales et les actions spécifiques. Notamment, les intentions de réduire l’empreinte carbone sont relativement élevées et en augmentation, alors que les intentions relatives aux changements de comportements en matière de mobilité, de chauffage et de consommation d’électricité sont moindres et stagnent.

Toutefois, une bonne nouvelle est que la majorité soutiendrait les autorités dans leurs mesures de politique économique pour empoigner le problème énergétique. En effet, à l’exception des jeunes habitants des communes non urbaines, la taxe CO2 apparaît comme étant relativement bien acceptée. On observe cependant une différence majeure quant à la perception de l’efficacité de la taxe en fonction du groupe visé, ménages ou entreprises. La plupart des personnes sondées considèrent la taxation des entreprises comme efficace mais la taxation des ménages comme inefficace. On peut également relever un manque de visibilité et de compréhension de la taxe parmi la population.

Finalement, nous constatons une disjonction entre les intentions et les connaissances, ce qui remet en question le lien présumé entre information et action. S’il existe, l’effet de l’information sur la consommation d’énergie est sans doute indirect. En effet, comme déjà mis en évidence par Diekmann et Meyer (2008), les campagnes d’information permettent probablement de faire évoluer les connaissances de la population sur les questions environnementales, ce qui favorise ensuite l’approbation de mesures politiques en faveur de l’environnement. Il est par ailleurs possible que les campagnes d’information n’aient qu’un effet négligeable en comparaison de l’impact exercé par certaines personnalités emblématiques telles que Greta Thunberg pour nous rappeler que, pendant que nous regardons ailleurs, notre maison brûle et qu’il est temps d’agir en conséquence.

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