Le développement des aspirations professionnelles des jeunes en Suisse

N°23, Octobre 2020
Irene Kriesi & Ariane Basler (Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle IFFP),

October 12, 2020
How to cite this article:

I. Kriesi & A. Basler (2020). Le développement des aspirations professionnelles en Suisse. Social Change in Switzerland, N°23. doi: 10.22019/SC-2020-00005

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Résumé

Le développement des aspirations professionnelles est une étape importante de l'adolescence. Les objectifs professionnels servent d'orientation pour le parcours de formation et influent sur la situation professionnelle à l'âge adulte. Cette étude montre l'évolution des souhaits de métiers des jeunes âgé-e-s de 15 à 21 ans et le rôle joué par le type de formation en secondaire II, l'origine sociale et le sexe. Les analyses réalisées à l'aide des données de COCON, l’enquête sur l’enfance et la jeunesse en Suisse, montrent que les jeunes adaptent très tôt leurs objectifs professionnels aux possibilités qu'ils et elles perçoivent comme réalisables sur la base de leur parcours scolaire. Les jeunes gymnasien-ne-s se fixent des objectifs professionnels plus élevés que les apprenti-e-s. Les différences s'atténuent jusqu'à l'âge de 21 ans, mais subsistent. Les aspirations professionnelles dépendent également du sexe. Les garçons ont des objectifs professionnels plus élevés que les filles, ce qui est une des raisons pourquoi les filles, en dépit de leurs meilleurs résultats scolaires, sont distancées sur le marché de l'emploi.


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Introduction

La détermination des aspirations et des objectifs professionnels joue un rôle essentiel à l’adolescence. Les jeunes avec des objectifs professionnels clairs parviennent plus facilement à choisir une formation et sont plus motivé-e-s à la réussir. Les aspirations professionnelles comptent également parmi les principaux facteurs qui déterminent le statut professionnel acquis ultérieurement.

Les jeunes peuvent définir leurs aspirations professionnelles en fonction de caractéristiques telles que le type d’activité souhaitée, ou en fonction du statut social et des possibilités de revenus offerts par la profession. Notre étude se concentre sur cette deuxième dimension et examine le statut professionnel des métiers souhaités par les jeunes. Elle fait référence à la reconnaissance sociale accordée aux différentes professions et est étroitement liée à la position sociale des personnes qui l’exercent. Les professions de statut social élevé sont prestigieuses, bien rémunérées et exercent une influence sur la société, tandis que les professions associées à un faible statut social et à un prestige réduit sont associées à des désavantages sociaux (Weeden, 2002).

Le rôle joué par le parcours scolaire et de formation dans l’évolution des aspirations professionnelles est déterminant (voir Basler & Kriesi, 2019). Cette question est particulièrement pertinente pour la Suisse, car le système éducatif y est très différencié et stratifié à partir du secondaire (Buchmann et al., 2016). Le degré secondaire I et le degré secondaire II sont tous deux divisés en différents types de formation qui varient par leur niveau d’exigence et leurs possibilités d’affectation scolaire. Dans la plupart des cantons, les enfants sont déjà orientés vers un type d’école secondaire à l’âge de 11 ou 12 ans qui définit la suite de leur parcours de formation. En secondaire II post-obligatoire, les jeunes suivent une formation générale (gymnase) ou une formation professionnelle initiale (apprentissage). Or, ces filières se divisent en plus de 200 métiers et ont des niveaux d’exigence différents. Il est évident que la place occupée au sein du système de formation et l’évolution des aspirations professionnelles sont étroitement liées.

Le développement des aspirations professionnelles

Les souhaits professionnels exprimés par les jeunes en Suisse ont déjà fait l’objet d’études assez nombreuses ; la plupart d’entre elles se consacrent à un moment précis et à un âge ou à une année d’étude donnés. Ainsi, plusieurs recherches ont montré que la majorité des jeunes souhaitaient exercer une profession genrée (Becker & Glauser, 2015 ; Buchmann & Kriesi, 2012 ; Gianettoni, 2015 ; Guilley et al., 2019). En outre, les projets professionnels sont influencés par les centres d’intérêt, la personnalité, la confiance en ses propres capacités, les valeurs et le type d’établissement secondaire fréquenté (Herzog, Neuenschwander & Wannack, 2006 ; Hirschi, 2010). Les quelques études portant sur l’évolution des aspirations professionnelles concernent des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne qui ont un système scolaire différent de celui de la Suisse. Dans ces pays, les aspirations professionnelles des jeunes sont souvent élevées et restent relativement identiques au fil du temps ou sont revues à la baisse en ce qui concerne le statut professionnel visé (Furlong & Biggart 1999 ; Lee & Rojewski 2009 ; Shapka, Domene & Keating, 2006). On sait qu’en Suisse et en Allemagne, les jeunes ont adapté leurs aspirations professionnelles jusqu’à l’âge d’environ 15 ans aux possibilités qui leur sont offertes en fonction du niveau d’exigence du type d’école secondaire fréquenté (Heckhausen & Tomasik 2002 ; Hirschi 2010 ; Hirschi & Vondracek 2009 ; Tomasik, Hardy, Haase & Heckhausen, 2009). En revanche, on compte peu d’études sur l’évolution des aspirations professionnelles des jeunes après leur entrée dans le secondaire et sur le rôle joué par la formation post-obligatoire au degré secondaire II et donc par la scolarisation en formation professionnelle ou dans une école secondaire.

D’un point de vue sociologique, le niveau des aspirations professionnelles dépend de l’origine sociale et des résultats scolaires des jeunes. Les parents de milieux socio-économiques favorisés, qui disposent en général d’un niveau de formation élevé, peuvent mieux soutenir leurs enfants à l’école et souhaitent qu’ils suivent des études plus exigeantes et exercent une profession plus prestigieuse que les parents issus d’un milieu socio-économique moins aisés. Par conséquent, les enfants issus de foyers aisés obtiennent en moyenne de meilleurs résultats scolaires, fréquentent des écoles plus exigeantes et ont des aspirations plus élevées (Kriesi & Leemann, 2020).

Dans le système éducatif suisse, le type d’école secondaire revêt une importance particulière. Les enfants sont affectés très tôt à des niveaux de performance différents. Le niveau de performance du type d’enseignement secondaire fréquenté est déterminant tant en ce qui concerne les opportunités d’accès au gymnase que le choix des filières de formation accessibles aux jeunes en formation professionnelle initiale. L’apprentissage, l’école de culture générale ou l’école de maturité gymnasiale choisi déterminent quant à eux les formations et professions accessibles facilement par la suite (Buchmann et al. 2016). Les jeunes perçoivent les rôles sociaux et les postes qui correspondent à leur situation dans le système éducatif et les possibilités qui leur sont offertes. Ils et elles adaptent donc leurs aspirations professionnelles aux possibilités perçues (Heckhausen & Buchmann 2018). Dans le même temps, ils sont également invités à fixer leurs objectifs professionnels au niveau le plus haut possible parmi les options définies comme réalistes et à choisir le statut social atteignable maximum (Tomasik et al. 2009).

Le développement des objectifs professionnels est un processus dynamique et les aspirations de carrière peuvent évoluer au fil du temps. Heckhausen (2002) postule que le processus d’établissement des objectifs professionnels diffère avant et après des étapes importantes dans le déroulement de la formation. Avant d’entrer dans l’enseignement professionnel ou à l’école de culture générale, par exemple, les jeunes se fixent des objectifs professionnels les plus hauts possibles parmi les options jugées réalisables. Si cette transition n’a pas été maîtrisée avec succès, par exemple parce que les jeunes n’ont pas trouvé d’apprentissage dans la profession souhaitée, ils ou elles doivent faire des compromis et revoir leurs aspirations à la baisse. En revanche, les transitions réussies renforcent les moyens d’action des jeunes et transforment leur champ d’expérience sociale (Tomasik et al. 2009). Cette situation crée des conditions favorables pour maintenir, voire relever, les aspirations professionnelles liées au statut social. Ce sont surtout les jeunes qui ont suivi un enseignement secondaire avec des exigences élémentaires et un apprentissage professionnel avec des exigences plutôt basses ou moyennes qui en profitent. Le contact avec le monde du travail et l’obtention d’un diplôme élargissent leurs perspectives et favorisent leur prise de conscience concernant l’éventail des possibilités professionnelles qui leur sont offertes et qui dépendent souvent de l’accomplissement d’une autre formation de degré tertiaire (Basler & Kriesi 2019).

Données et méthode d’analyse

Nous utilisons les données de l’enquête COCON sur les enfants et la jeunesse[1]. Cette étude longitudinale interdisciplinaire se penche sur les conditions sociales, le développement psychosocial et les parcours éducatifs des enfants et des adolescent-e-s selon la perspective du parcours de vie. Elle a été effectuée en Suisse alémanique et romande et porte sur trois cohortes nées en 1984/85, en 1990/91 et en 1999/2000. Outre les enfants et les jeunes eux-mêmes, parents et enseignant-e-s ont également été interrogé-e-s.

Pour nos analyses, nous avons utilisé les données de jeunes né-e-s entre septembre 1990 et avril 1991. Ils et elles ont été interrogé-e-s pour la première fois en 2006 à l’âge de 15 ans, avant la fin de la scolarité obligatoire, dans le cadre d’entretiens personnels. Les enquêtes de suivi ont eu lieu en 2007, 2009 et 2012, lorsque les jeunes avaient 16, 18 et 21 ans. Pour les analyses, nous nous basons sur les données de 1011 jeunes qui ont commencé une formation post-obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans et pour lesquel-le-s nous disposons d’informations sur la profession souhaitée. Lors de chaque enquête, nous avons demandé aux jeunes quel métier ils et elles apprendraient s’ils et elles pouvaient choisir librement. Les désignations professionnelles ont été codées selon la nomenclature suisse des professions 2000 de l’Office fédéral de la statistique (NSP 2000).

Pour déterminer le statut social des professions souhaitées, nous nous sommes basées sur l’indice socio-économique international du statut professionnel ISEI (Ganzeboom, De Graaf & Treiman, 1992). Cet indice place les professions sur un continuum de 16 à 90 points, les professions à faible statut, comme travailleur agricole saisonnier, totalisant un score bas alors que les professions à statut social élevé, par exemple les médecins, obtiennent un score élevé. La place occupée par une profession sur ce continuum dépend du niveau de formation requis et des revenus que cette profession peut générer.

Pour déterminer si le développement des aspirations professionnelles est lié au parcours scolaire et à d’autres facteurs d’influence éventuels, nous avons évalué des modèles linéaires multiniveaux avec répétition des mesures.[2]

Du côté des facteurs d’influence possibles, le type d’enseignement secondaire fréquenté et le type de formation post-obligatoire sont au premier rang. Nous avons distingué les types d’écoles secondaires avec des exigences élevées (par ex. gymnases de longue durée, prégymnase), exigences étendues (par ex. type E), exigences élémentaires (par ex. type C,) ainsi que le type non divisé qui ne diffère pas selon les niveaux de performance (par ex. cycle d’orientation).[3] En ce qui concerne la première formation post-obligatoire, nous avons distingué les formations professionnelles initiales (FPI) de niveau d’exigence intellectuelle bas ou moyen (voir Stalder 2011, niveaux 1-4), les formations professionnelles initiales de niveau d’exigence intellectuelle élevé (Stalder 2011, niveaux 5-6), l’école de culture générale ainsi que le gymnase.

En outre, les modèles contrôlent le niveau de formation des parents (un parent au moins est-il au bénéfice d’une formation tertiaire), les résultats scolaires à la fin de l’enseignement secondaire (moyenne en mathématiques et note en allemand/en français), les capacités cognitives de base, le sexe, le contexte migratoire et le statut professionnel à 21 ans.

Métiers souhaités à l’âge de 15 et 21 ans

Le graphique 1 présente les dix métiers préférés des filles et des garçons ainsi que leur statut professionnel à l’âge de 15 et 21 ans. Les filles préfèrent devenir employées commerciales à la fin de la scolarité obligatoire. Viennent ensuite les métiers de médecin, d’éducatrice de la petite enfance, d’assistante en soins et santé communautaire, d’enseignante en primaire, de travailleuse en jardin d’enfants, d’avocate, d’employée de commerce de détail, de styliste et de vétérinaire. Même si l’ordre de ces dix professions change plus tard, sept d’entre elles font également partie des professions préférées des jeunes femmes de 21 ans. À l’âge de 21 ans, les professions de physiothérapeute, de policière et de décoratrice d’intérieur viennent s’ajouter à la liste. En revanche, les métiers d’employée commerciale, d’employée du commerce de détail et de vétérinaire disparaissent du top 10.

À 15 ans, les garçons veulent le plus souvent devenir informaticiens, sportifs professionnels, mécaniciens automobiles, commerciaux ou avocats. Les professions de cuisinier, d’architecte, d’électricien, de menuisier ou de pilote sont également très prisées. Six ans plus tard, les aspirations les plus courantes ont changé et sont plus élevées. Au lieu des métiers d’apprentissage au statut social plutôt bas, les garçons ambitionnent désormais plus souvent d’exercer les métiers plus prestigieux de manager, d’enseignant du primaire, d’ingénieur, de policier, de professeur de sport ou de médecin.

Le graphique 2 indique que les jeunes, surtout les garçons, souhaitent exercer des professions de statut social plus élevé à 21 ans qu’à 15 ans. Il montre de manière distincte l’évolution du statut social moyen des professions souhaitées pour les femmes et les hommes. À partir de 18 ans, les garçons ont des aspirations professionnelles nettement plus élevées que les filles (+ 3,4 points). À l’âge de 15 ans, cet écart était encore moins marqué, même si le statut social moyen des emplois souhaités par les filles était déjà inférieur de 1,75 point à celui des métiers ambitionnés par les garçons du même âge.

Le type de formation post-obligatoire est déterminant

Comme le montre le graphique 3, le développement des aspirations professionnelles en matière de statut social est étroitement lié au type de formation post-obligatoire. Les jeunes qui, après l’école obligatoire, suivent un apprentissage d’un niveau d’exigence bas ou moyen souhaitent exercer des métiers associés à un statut social nettement inférieur à celui des jeunes qui fréquentent le gymnase. Après l’entrée en secondaire II, les jeunes qui passent à un type de formation moins exigeant, par exemple du gymnase à un apprentissage professionnel, changent leurs souhaits professionnels et abaissent leurs aspirations.

Les différences d’aspiration diminuent avec l’âge entre les trois groupes de formation. À 15 ans, la différence moyenne de statut social entre les gymnasien-ne-s d’une part et les élèves suivant des formations de niveau d’exigence bas/moyen d’autre part était de 18 points. Six ans plus tard, cet écart n’était plus que de 12 points. Cette diminution de l’écart est due au fait que les gymnasien-ne-s abaissent en général légèrement leurs aspirations de statut social, tandis que les diplômé-e-s ayant commencé une formation professionnelle, et en particulier les garçons qui suivent une formation ayant des exigences  basses ou moyennes, revoient considérablement à la hausse leurs ambitions professionnelles. La divergence de cette évolution peut potentiellement s’expliquer par le fait que les gymnasien-ne-s ne doivent prendre des décisions concernant leur formation professionnelle qu’à l’âge de 18 ans environ, et deviennent donc plus réalistes à cet âge. Après l’entrée en formation professionnelle initiale, les apprenti-e-s acquièrent une expérience précieuse et élargissent leurs connaissances sur les autres possibilités qui leur sont facilement accessibles grâce à leur formation.

Les graphiques 4 et 5 illustrent l’évolution des aspirations relatives au statut social sur la base des cinq souhaits de carrière les plus fréquents des filles et des garçons ayant suivi des formations différentes. À l’âge de 15 ans, les gymnasiennes souhaitent le plus souvent devenir médecin ou vétérinaire, avocate, professeure en primaire ou physiothérapeute. Six ans plus tard, les professions de physiothérapeute et de vétérinaire ne font plus partie des cinq carrières les plus convoitées, et sont remplacées par les professions plus prestigieuses de pharmacien et de psychologue.

Les jeunes femmes qui suivent une formation professionnelle exigeante ou fréquentent une école de culture générale ont des souhaits professionnels un peu moins ambitieux que les futures gymnasiennes. Comme souhaits de carrière les plus fréquents, elles indiquent les métiers d’employée commerciale, éducatrice de la petite enfance, de styliste, d’enseignante en primaire et d’assistante en soins et santé communautaire. Six ans plus tard, médecin et travailleuse sociale viennent s’ajouter à la liste.

Les élèves qui commencent une formation professionnelle initiale avec des exigences basses ou moyennes ont des aspirations de carrière nettement plus basses en matière de statut social que les deux autres groupes. Elles indiquent comme professions favorites assistante en soins et santé communautaire, employée du commerce de détail, éducatrice de la petite enfance, assistante médicale ou fleuriste. Six ans plus tard, outre les métiers relativement peu prestigieux de coiffeuse, d’esthéticienne et d’assistance en soins et santé communautaire, ce sont les métiers à statut social plus élevé de policière et de médecin qui dominent.

Chez les garçons, les futurs titulaires d’une maturité, quel que soit leur âge, souhaitent plutôt exercer des professions de catégorie socioprofessionnelle élevée qui exigent majoritairement d’obtenir une maturité. À 15 ans, sportif professionnel, avocat, architecte, informaticien ou ingénieur font partie des métiers favoris. À l’âge de 21 ans, les professions de pilote, de médecin et de musicien figurent en tête de liste (voir le graphique 5). En plus de la profession d’informaticien, les garçons qui suivent une formation professionnelle initiale assortie d’exigences élevées aspirent à exercer des métiers de statut socioprofessionnel légèrement supérieur, tels que commercial, laborantin en chimie ou dessinateur en bâtiment. Six ans plus tard, ils se fixent des objectifs nettement plus élevés et souhaitent souvent devenir pilotes ou architectes, comme les gymnasiens. Les métiers d’informaticien ou de designer industriel sont également souvent cités. À l’âge de 15 ans, les garçons qui suivent une formation professionnelle initiale associée à des exigences basses ou moyennes veulent le plus souvent devenir informaticiens ou exercer une profession d’artisan de statut social plutôt bas. À 21 ans, ils souhaitent exercer une profession de catégorie socioprofessionnelle nettement plus élevée, comme pilote, policier, sportif professionnel, technicien ou manager.

Outre le sexe et le type de formation de niveau secondaire II, les résultats scolaires, le niveau d’exigence du type d’école secondaire et l’origine sociale jouent également un rôle dans les aspirations en matière de statut social. Les jeunes qui ont obtenu de bonnes notes à l’école secondaire et qui ont fréquenté une école d’un niveau très exigeant souhaitent exercer une profession de catégorie socioprofessionnelle plus élevée que les jeunes ayant des notes moins bonnes et ayant fréquenté des types d’écoles secondaires moins exigeants, et ce, indépendamment du déroulement ultérieur de la formation.

L’origine sociale, reflétée par la formation des parents, est également déterminante. Les jeunes dont les parents sont titulaires d’un diplôme de formation tertiaire souhaitent, même en cas de type d’école et de résultats scolaires comparables, exercer une profession légèrement plus prestigieuse que les jeunes dont les parents ont atteint au maximum le degré secondaire II. Un haut niveau de formation chez les parents conduit donc les jeunes à se fixer des objectifs professionnels plus élevés.

Conclusions

En résumé, nos résultats montrent que les aspirations socioprofessionnelles des jeunes sont étroitement liées au parcours scolaire et au sexe. Les filles ont des objectifs professionnels moins ambitieux que les garçons. Cet état de fait contribue à ce que les filles, malgré leur plus grande réussite à l’école, se retrouvent rapidement distancées sur le marché du travail par leurs collègues masculins du même âge, notamment en ce qui concerne le poste occupé et les revenus (Bertschy 2016 ; Combet & Oesch 2019 ; Grønning, Kriesi & Sacchi 2020).

Il est également important de noter que suivre un enseignement secondaire avec un niveau d’exigence plutôt bas ou un apprentissage aux exigences basses ou moyennes s’accompagne d’aspirations professionnelles beaucoup plus modestes en termes de statut social que de suivre un enseignement secondaire aux exigences élevées ou d’être admis au gymnase. En d’autres termes, les jeunes adaptent très tôt leurs objectifs professionnels aux possibilités qu’ils et elles perçoivent comme réalisables sur la base de leur parcours scolaire. Il est également possible que les aspirations professionnelles influencent le choix du type d’école secondaire, mais nous estimons que c’est peu probable. Dans la plupart des cantons, l’affectation en degré secondaire I a déjà lieu à l’âge de 11 ou 12 ans et dépend fortement des notes obtenues à l’école (Buchmann et al. 2016). À cet âge, les souhaits professionnels des enfants sont encore vagues et peu réalistes. En revanche, il est tout à fait plausible que les jeunes qui suivent des types de formation à basses exigences scolaires aient comme point de référence les formations professionnelles de faible statut social pour le développement de leurs objectifs professionnels. L’admission à une formation professionnelle et les nouvelles expériences qui en découlent permettent aux jeunes de redéfinir leurs objectifs professionnels et de nettement les rehausser. La possibilité de les atteindre dépend de la perméabilité du système éducatif.

La création de la maturité professionnelle et des hautes écoles spécialisées dans les années 1990 a nettement amélioré la perméabilité verticale de la formation professionnelle dans les hautes écoles. Les obstacles à l’admission aux hautes écoles, mais aussi à la formation professionnelle supérieure, restent cependant considérables pour une partie des apprenti-e-s scolarisé-e-s dans le système de formation professionnelle (Kriesi & Leemann 2020 ; Trede et al. 2020 ; Sander & Kriesi, à paraître). Cela laisse supposer que ces barrières institutionnelles empêchent une partie des jeunes de réaliser les aspirations professionnelles qu’ils et elles ont revues à la hausse au cours de leur formation initiale. La suppression de ces obstacles pourrait donc contribuer à atténuer l’ précoce des jeunes favorisée par le système éducatif et à faciliter les changements d’orientation en cours de carrière et de formation.

 

 

 

[1]     Voir https://www.jacobscenter.uzh.ch/fr/research/cocon.html (dernière consultation le 5 juin 2020).

[2]     Cette méthode de l’analyse de régression permet d’étudier les changements au fil du temps. En outre, elle nous permet de déterminer simultanément l’importance des différents facteurs d’influence. Les modèles tiennent compte du cycle d’enquête au premier niveau et des jeunes interrogé-e-s au deuxième niveau. Afin de modéliser l’évolution variable des aspirations en fonction du type de formation, nous avons évalué des modèles de courbes de croissance avec des interactions temporelles.

[3]     Pour un aperçu détaillé des systèmes d’enseignement secondaire de chaque canton, voir https://www.edk.ch/dyn/15425.php (dernière consultation le 12.08.20).

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