Trajectoires famille-travail et bien-être subjectif des femmes et hommes en Suisse

N°29, mai 2022
Chiara L. Comolli (Université de Bologne), Laura Bernardi (Université de Lausanne) & Marieke Voorpostel (FORS),

May 30, 2022
How to cite this article:

Comolli, C.L., Bernardi, L. & Voorpostel, M. (2022). Trajectoires famille-travail et bien-être subjectif des femmes et hommes en Suisse. Social Change in Switzerland, N°29. doi: 10.22019/SC-2022-00001

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Résumé

Les parcours professionnels et familiaux sont devenus de plus en plus diversifiés en Suisse, mais les différences entre les hommes et les femmes persistent. Les données issues du Panel suisse de ménages montrent que le parcours le plus courant chez les femmes nées entre 1952 et 1966 est un retour au travail à temps partiel après la transition à la parentalité. Cependant, ce n'est pas ce groupe qui a la satisfaction par rapport à sa propre vie la plus élevée. C’est la minorité des femmes qui combine un emploi stable à temps plein avec une trajectoire familiale traditionnelle – un mariage durable avec des enfants – qui bénéficie d'une « prime » de bien-être subjectif et financier après 50 ans. Chez les hommes, on observe beaucoup moins de variations au niveau des trajectoires sur le marché du travail.


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Introduction

Au cours des dernières décennies, dans les sociétés européennes, y compris en Suisse, la proportion de couples à double revenu (hommes et femmes exerçant une activité rémunérée) a augmenté de manière spectaculaire, de même que les exigences liées aux rôles parentaux et professionnels. Les trajectoires professionnelles et familiales des hommes et des femmes sont ainsi devenues plus complexes et plus imbriquées que jamais (Diewald et al., 2006).

Les expériences familiales et professionnelles sont liées au bien-être (McDonough et al., 2015), certains types de trajectoires générant des niveaux de bien-être plus faibles à un âge avancé. Notre étude évalue dans quelle mesure les trajectoires professionnelles et familiales combinées, du début au milieu de l’âge adulte, sont liées au bien-être. Nous comparons les hommes et les femmes en Suisse, car comme dans les autres pays occidentaux, ils et elles ont généralement des trajectoires différentes, les femmes ayant plus de difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale (Keizer et al., 2010). Les femmes suisses continuent d’assumer la majeure partie des tâches ménagères : elles en assument en moyenne 64%, un peu moins que les taux observés dans les pays d’Europe méridionale (Italie 70,1% ; Espagne 66,5%) et un peu plus que ailleurs en Europe continentale (France 62% ; Allemagne 61,6%) (OCDE, 2020).

Bien que la participation globale des femmes au marché du travail soit élevée en comparaison internationale (82,8% en Suisse contre 71,1% dans l’UE), les trajectoires professionnelles des femmes sont moins stables et le taux d’emploi moins élevé que ceux des hommes. L’emploi des mères en particulier s’est largement concentré sur les emplois à temps partiel, qui s’accompagnent de moins de possibilités de carrière, et les interruptions de carrière restent plus fréquentes chez les femmes. En 2019, le taux d’emploi à temps partiel des femmes en Suisse était de 61,7% (29,9% dans l’UE), tandis que 17,1% des hommes actifs occupés suisses travaillaient à temps partiel (8,4% dans l’UE, Eurostat, 2020). Les femmes sont également plus susceptibles que les hommes d’être au chômage (5,1% contre 4,3% pour les hommes en 2018) ou économiquement inactives au moins pendant une partie du parcours de vie (19,8% des femmes suisses âgées 15-64 étaient inactives en 2019 contre 11,7% des hommes suisses). Notons cependant que ces écarts se sont fortement réduits au cours des dernières décennies.

De précédentes études analysent les inégalités de genre en Suisse dans les trajectoires professionnelles et familiales dans une perspective du parcours de vie. Levy, Gauthier et Widmer (2006) montrent que les trajectoires des hommes sont beaucoup plus stables et homogènes que celles des femmes. Plus récemment, Levy (2018) démontre que les parcours de vie contemporains restent fortement genrés, surtout lors de la transition à la parentalité. Cette re-traditionnalisation des pratiques est influencée par la politique sociale et l’environnement institutionnel au niveau régional. En outre, d’autres études montrent que les conséquences de l’adoption d’une division inégalitaire des activités professionnelles et domestiques se cumulent au cours du temps et favorisent le développement de vulnérabilités économiques et un manque de reconnaissance sociale des femmes en Suisse (Giudici & Gauthier, 2009).

Comme ces études, nous nous appuyons sur les données du Panel suisse de ménages qui s’étendent sur plusieurs décennies. Elles nous permettent de suivre les personnes tout au long de leur vie et d’identifier les événements familiaux critiques. Parmi eux on compte la parentalité et les changements dans la vie de couple, y inclus les séparations, divorces et remises en couple, les transitions critiques dans le domaine professionnel, comme la transition de l’école au travail et les transitions liées à l’emploi, distinguant temps plein et temps partiel. Les études mentionnées ci-dessus, cependant, ne prennent en compte que les données anciennes du Panel suisse de ménages (de 2002). L’inclusion de données plus récentes permet de couvrir les trajectoires des anciennes cohortes de naissance, nées entre 1952 et 1982 (à partir des données rétrospectives de 2002) et de nouvelles cohortes nées entre 1983 et 1993 (à partir des données de 2013). Nous nous concentrons sur la période où les répondant-e-s avaient entre 20 et 50 ans. Pour mesurer le bien-être après l’âge de 50 ans, nous évaluons la satisfaction de la vie, la satisfaction à l’égard des relations sociales et la satisfaction de la situation économique, indicateurs observés à partir de données 2014-2017. Nous identifions et décrivons les principales trajectoires professionnelles et familiales des répondant-e-s (environ 1000 femmes et 800 hommes) et montrons comment ces trajectoires s’associent au niveau du bien-être au-delà des 50 ans (cohortes de naissance 1952-1966).

L’impact des trajectoires familiales et professionnelles sur le bien-être

La recherche montre que des trajectoires familiales et professionnelles stables sont liées à des niveaux de bien-être plus élevés (Cabib & Fasang, 2016 ; McDonough et al., 2016). Les partenariats stables à long terme apportent un soutien émotionnel et une intégration sociale ainsi que des avantages financiers et matériels. Ils sont associés à une plus grande satisfaction dans la vie et à moins de solitude à un âge avancé (Peters & Liefbroer, 1997 ; Thomson et al., 2001).

Dans le même ordre d’idées, un fort attachement au marché du travail offre des réseaux sociaux qui sont bénéfiques pour le bien-être relationnel, les ressources financières ainsi que les opportunités de récompense et d’apprentissage personnel. Les trajectoires de bien-être subjectif après la retraite sont plus positives lorsque le parcours professionnel à long terme, jusqu’à la retraite, est caractérisé par un travail à temps plein (90-100%), par rapport à la transition vers la retraite après l’inactivité ou après une trajectoire incluant le chômage.

En revanche, les trajectoires caractérisées par l’instabilité sont associées à des niveaux de bien-être plus faibles. Un parcours de vie caractérisé par une ou des séparations et divorces et l’absence d’un·e partenaire stable ou d’enfants tend à être lié à des niveaux de bien-être plus faibles (Halper-Manners et al., 2015). Le chômage non seulement réduit directement la satisfaction dans la vie (Oesch & Lipps, 2013), mais affecte aussi indirectement le bien-être plus tard, en réduisant l’accumulation d’actifs financiers et l’ancienneté de service, diminuant ainsi les futures perspectives d’emploi, la santé et les chances de se mettre en couple. Les longues périodes de travail à temps partiel diminuent le bien-être subjectif, à moins que l’option du temps partiel ne soit choisie volontairement pour concilier les obligations familiales et professionnelles. (Ponomarenko, 2016). La retraite anticipée, le travail indépendant et le travail atypique (contrats à durée déterminée ; apprentissage) ont également été associés à un bien-être subjectif moindre (Falkingham et al., 2020).

Ces résultats suggèrent que la complexité croissante du parcours de vie peut avoir des conséquences négatives sur le bien-être. En outre, ces conséquences pourraient être plus graves pour les femmes. Si les trajectoires de couple sont devenues plus complexes tant pour les hommes que pour les femmes, l’impact sur le bien-être varie selon le sexe : dans l’ensemble, les hommes bénéficient davantage que les femmes d’être dans un couple stable en termes de style de vie, et souffrent davantage des périodes prolongées de célibat, en termes de bien-être global et relationnel. Les histoires d’unions instables ont, au contraire, des conséquences plus graves pour les femmes que pour les hommes, en termes de bien-être subjectif et de solitude (Demey et al., 2014).

Par conséquent, alors que les hommes ont maintenu des trajectoires professionnelles relativement stables et linéaires tout au long des cohortes de naissance de la première moitié du vingtième siècle, les trajectoires professionnelles des femmes se sont beaucoup plus diversifiées (Widmer & Ritschard, 2009). Cela expose particulièrement les femmes à une plus grande insécurité financière, à l’instabilité de l’emploi, à des salaires plus bas et à moins de possibilités de carrière et d’avantages sociaux que les hommes.

Trajectoires familiales et professionnelles en Suisse

Nous nous appuyons sur les deux modules biographiques du Panel suisse de ménages, 2002 et 2013, qui fournissent des informations biographiques rétrospectives sur les histoires professionnelles et familiales des répondant-e-s. Nous sélectionnons des répondant-e-s qui ont fourni des trajectoires complètes pour les âges de 20 à 50 ans, qui ont participé à au moins une vague suivant la collecte des données biographiques (2003-06 et 2014-17, respectivement) et dont le bien-être est mesuré entre 51 et 70 ans. Après avoir exclu aussi les données manquantes sur les variables de contrôle, notre échantillon final se compose de 880 hommes et 1005 femmes nés entre 1952 et 1966.

Les figures 1 et 2 présentent les trajectoires familiales et professionnelles des hommes et femmes en Suisse. Les groupes sont distingués en utilisant la méthode d’alignement de séquences (développée pour l’analyse génomique) qui permet de comparer des trajectoires les unes aux autres afin de déceler des types de séquences au profil semblable. Les figures représentent ainsi les types de séquences parmi les trajectoires masculines et féminines. Il s’agit d’histogrammes où chaque colonne correspond à une année de vie entre 20 et 50 ans (axe horizontal) et montre la proportion des divers statuts professionnels ou personnels retenus (axe vertical). Chaque figure décrit ainsi de manière synthétique un type de trajectoire familiale ou professionnelle.

Nous avons identifié trois groupes de trajectoires familiales typiques pour les hommes (figure 1). La moitié des hommes de notre échantillon fait partie d’un groupe de trajectoires familiales traditionnelles avec une transition à la vie en couple relativement précoce et une transition à la paternité vers le début ou le milieu de la vingtaine (“Traditionnels”). Un tiers des hommes se regroupe dans un groupe traditionnel tardif dans lequel ces transitions ont lieu un peu plus tard, vers l’âge de 30 ans (“Traditionnel tardif”). Dans ces deux groupes, après l’âge de 30 ans, la majorité des hommes reste en couple avec des enfants. Le dernier groupe (“Sans enfants”, 20%) comprend les hommes qui restent majoritairement sans enfant entre 20 et 50 ans.

Les groupes familiaux de femmes diffèrent en ce qui concerne, tout d’abord, l’âge de la constitution de la famille, qui est inférieur à celui des hommes. Dans le groupe le plus important, comprenant 47% des femmes (“Traditionnel précoce”), dès l’âge de 20 ans, beaucoup d’entre elles sont en couple et certaines ont des enfants. Au milieu de la vingtaine, plus de la moitié des femmes de ce groupe ont des enfants. Le deuxième groupe (“Traditionnel”), avec environ 43% des femmes, présente la même transition traditionnelle vers la vie en couple et la maternité, mais un peu plus tard, les femmes ayant des enfants vers la fin de la vingtaine. Il est à noter que les deux groupes comprennent des séparations et des remises en couple pour les femmes au cours des dix dernières années de la trajectoire de vie considérée, à savoir entre 40 et 50 ans, ce qui s’observe moins pour les hommes. Pourtant, ces situations ne sont pas assez fréquentes pour constituer un groupe distinct. Le troisième groupe comprend 10% des femmes (“Sans enfants”). Comme l’illustre la figure 1, à tous les âges, ce groupe est majoritairement sans partenaire. Par conséquent, la deuxième différence entre les hommes et les femmes suisses, en ce qui concerne les trajectoires familiales typiques, est que le groupe des hommes sans enfants comprend aussi bien des hommes avec ou sans partenaire, alors que les femmes du groupe sans enfants sont principalement sans partenaire.

Figure 1 : Différents types de trajectoires familiales en Suisse

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Source : élaboration des auteures sur la base des données biographiques du PSM 2002, 2013.
N(hommes)= 880 ; N(femmes)=1005. Cohortes de naissance : 1952-1993.

La figure 2 montre que la grande majorité d’hommes entre tôt sur le marché de l’emploi et travaille à temps plein, comprenant environ 77% des hommes de l’échantillon (“Emploi précoce et à temps plein “). Les hommes de ce groupe connaissent rarement le chômage, le cas échéant plutôt au début de leur carrière, et travaillent très peu à temps partiel. Le deuxième groupe (“Travail à temps partiel”, 12%) comprend les hommes chez qui le travail à temps partiel (de 50 à 89%) prédomine dans la majeure partie de leur carrière. Enfin, le dernier groupe d’hommes (“Travail à temps plein après des études supérieures”, 11%) ressemble au premier en ce qui concerne la prédominance du travail à temps plein, mais avec une période de formation plus longue. Ces hommes entrent sur le marché du travail un peu plus tard. Comme le montre la figure 2, à l’âge de 23-24 ans, 40% d’entre eux sont encore en formation – et, de fait, 95% d’entre eux ont fait des études supérieures – par rapport aux 38% des hommes du groupe d’entrée précoce sur le marché du travail et aux 46% du groupe de travail à temps partiel.

Les trajectoires professionnelles des femmes nées dans les cohortes 1952-1993 en Suisse sont très différentes de celles des hommes. Près d’un tiers d’entre elles appartiennent au groupe des personnes qui ne sont pas en emploi pendant la majeure partie de leur âge d’activité (“Non employées”). Près de 80% de ce groupe travaillent à temps plein ou à temps partiel au début de leur carrière, mais à l’âge de 30 ans, cette proportion est inférieure à 20% (figure 2). Le plus grand groupe de femmes (“Travail à temps partiel”, 50%) se caractérise principalement par une retraite ou une baisse du taux d’emploi pendant les années reproductives, entre le milieu de la vingtaine et le milieu de la trentaine, mais aussi par un retour sur le marché du travail à temps partiel par la suite. La figure 2 montre que, dans ce groupe, il faut attendre l’âge de 40 ans pour retrouver la même proportion de femmes en emploi qu’à 20 ans, à savoir 80% du groupe. Enfin, 21% des femmes de l’échantillon forment le groupe des travailleuses à temps plein (“Temps plein”). Dans ce groupe, le non-emploi est rare et concentré au début ou à la fin de la carrière.

Figure 2 : Différents types de trajectoires professionnelles en Suisse

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Source : élaboration des auteures sur la base des données biographiques du PSM 2002, 2013.
N(hommes)= 880 ; N(femmes)=1005. Cohortes de naissance : 1952-1993.

La prime au bien-être d’un attachement stable au travail et à la famille

La figure 3 montre comment les différentes trajectoires travail-famille sont associées à différents niveaux de bien-être après l’âge de 50 ans. Nos trois indicateurs de bien-être (satisfaction dans la vie, satisfaction dans les relations personnelles et satisfaction financière) sont mesurés sur une échelle de 0 à 10. La figure 3 présente la satisfaction de vie prédite pour les différents groupes de trajectoires familiales et professionnelles. Nous avons aussi retenu plusieurs variables de contrôle. Dans tous les modèles, nous contrôlons l’âge (51-70 ans) et la période au cours de laquelle le bien-être est mesuré (2014-17 vs 2003-06). Pour vérifier si l’association entre des trajectoires familiales et professionnelles spécifiques et le bien-être existe au-delà du processus de sélection dans certains types de trajectoires, nous contrôlons un certain nombre de caractéristiques de base, toutes mesurées avant l’âge de départ des trajectoires (avant 20 ans), comme le pays de naissance et la nationalité, le mode d’habitation à l’âge de 15 ans et le niveau d’éducation du père.

La causalité inverse entre le bien-être et les trajectoires de vie représente un biais potentiel de nos estimations. Les personnes plus heureuses peuvent avoir des antécédents familiaux et professionnels plus positifs. L’association entre certaines trajectoires et le bien-être peut s’expliquer par des conditions innées qui font que certaines personnes sont plus heureuses que d’autres et plus susceptibles de vivre une expérience de bien-être.

Pour les hommes, nous ne constatons aucune association significative entre les trajectoires professionnelles et familiales et le niveau de satisfaction de vie. Chez les femmes, celles qui travaillent à temps plein et qui ont une trajectoire familiale traditionnelle ont une satisfaction de vie plus élevée après l’âge de 50 ans par rapport à toutes les autres constellations famille-travail, y compris par rapport aux femmes qui ont connu une interruption de carrière. En termes de satisfaction de vie, leur score est supérieur d’environ 1 point (sur une échelle de 0 à 10) par rapport aux femmes sans enfants. En revanche, avoir une trajectoire de travail stable à temps plein sans enfant est associé à un bien-être subjectif inférieur qu’avoir une trajectoire avec des enfants.

En ce qui concerne la satisfaction à l’égard des relations sociales, nous ne trouvons aucune différence notable entre les différentes trajectoires professionnelles et familiales des femmes. Contrairement à notre hypothèse, les femmes qui ont suivi des trajectoires sans emploi rémunéré ne semblent pas moins satisfaites de leurs relations sociales que celles qui ont eu une trajectoire professionnelle à temps plein ou partiel. Pour les hommes avec une trajectoire de travail à temps plein précoce, nous constatons que le fait d’avoir une famille avec des enfants est associé à un bien-être relationnel plus élevé par rapport au fait de rester sans enfant. Nous n’observons pas une telle différence pour les hommes ayant un faible attachement au marché du travail. Cela suggère que le travail stable à temps plein et la formation d’une famille correspondent à des relations sociales plus satisfaisantes après 50 ans, bien que cela soit en partie dû au fait que ce groupe d’hommes est également celui qui est encore dans une relation stable après 50 ans.

La figure 3 montre que la satisfaction financière varie légèrement chez les hommes. Les hommes plus instruits, avec une trajectoire professionnelle à plein temps et une trajectoire familiale traditionnelle, sont les plus satisfaits et les hommes travaillant à temps partiel, avec une trajectoire familiale traditionnelle, sont les moins satisfaits. Cependant, ces résultats ne sont pas statistiquement significatifs car notre échantillon contient trop peu d’hommes ayant une trajectoire professionnelles atypique.

Figure 3 : Modèle d’interaction. Facteurs qui influent le niveau de satisfaction dans la vie après 50 ans. Hommes et femmes.

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Source : élaboration des auteures sur la base des données biographiques du PSM 2002,2013 et du panel du PSM (2003-2017). N(hommes)= 880 ; N(femmes)=1005. Cohortes de naissance : 1952-1966.

Les trajectoires de vie familiale et professionnelle des femmes suisses sont, au départ, plus hétérogènes que celles des hommes (comme le montrent les figures 1 et 2 ci-dessus), ce qui produit des différences plus larges entre les sexes en matière de satisfaction financière. Les femmes sans enfants et avec une vie de couple plus instable sont moins satisfaites de leur situation financière que leurs homologues ayant une trajectoire familiale traditionnelle, quelle que soit leur trajectoire professionnelle. Toutefois, cette différence était faible et statistiquement non significative chez les femmes ayant une carrière professionnelle à temps partiel (figure 3). Comme on pouvait s’y attendre, c’est parmi les femmes n’ayant jamais travaillé que l’on trouve la plus grande différence. Les femmes qui n’ont jamais travaillé, mais qui ont eu une vie familiale traditionnelle déclarent un bien-être financier presque identique à celui des femmes travaillant à temps plein dans les couples à double revenu (avec un score de 8 sur 10). Au contraire, les femmes qui n’ont jamais travaillé et qui sont restées sans enfant et souvent sans partenaire font état d’un bien-être financier nettement inférieur (avec un score de 5 sur 10).

Conclusion

Le bien-être des femmes en Suisse après l’âge de 50 ans dépend davantage que celui des hommes des trajectoires familiales et professionnelles, et de leur combinaison. Si les liens familiaux sont primordiaux pour le bien-être général et financier des femmes à long terme, l’effet bénéfique de l’histoire familiale est aussi fortement lié à celui de l’histoire professionnelle. La trajectoire la plus courante chez les femmes nées dans la seconde moitié du XXe siècle, à savoir le retour au travail à temps partiel après l’arrivée des enfants, n’est pas celle qui va de pair avec la plus grande satisfaction de vie après 50 ans. Alors que la diminution du temps de travail des femmes peut entrainer une augmentation du bien-être à court terme (Gash et al., 2010), le fait de rester dans un emploi à temps plein pendant que les enfants grandissent semble associé à des niveaux plus élevés de bien-être plus tard.

Nos résultats suggèrent un risque de faible bien-être financier à long terme pour les femmes qui ont un lien faible au marché du travail et l’absence d’une vie de couple stable. Il est difficile de distinguer ici un effet de sélection (un bien-être plus élevé facilite le maintien d’un emploi et la mise en couple) d’un lien causal (le manque de l’un et de l’autre réduisent le bien-être), mais l’association entre ces aspects est claire. D’autres études suggèrent également qu’en Suisse, être une mère en couple et ayant un emploi est associé à un niveau plus élevé de bien-être, alors qu’être célibataire va de pair avec un bien-être plus faible (Perrig-Chiello et al., 2008). De plus, bien que l’emploi atténue la vulnérabilité engendrée par le célibat, même un travail à plein temps ne semble pas compenser entièrement la sécurité financière d’une relation de couple stable.

Notons toutefois que la combinaison de la famille traditionnelle et du travail à temps plein pour les femmes représente une très petite partie de l’échantillon (6%) et qui est très sélective : très instruite, très probablement avec des emplois intéressants, prestigieux ou bien payés. Ce groupe pourrait également avoir une plus grande satisfaction de vie en raison de leur meilleur emploi qui permet d’externaliser les tâches ménagères et la garde des enfants – ce qui n’est peut-être pas possible pour les autres femmes même si elles optent pour un emploi à temps plein.

La principale conclusion que nous tirons est que la façon dont les trajectoires professionnelles et familiales sont combinées a plus d’importance pour le bien-être des femmes que pour celui des hommes nés dans la seconde moitié du XXe siècle. Cela est probablement lié au fait que les trajectoires des femmes sur le marché du travail sont moins stables, ce qui les rend plus dépendantes du partenaire et donc de la façon dont leur trajectoire familiale se déroule. En outre, pour les femmes, il semble exister une prime de bien-être à long terme pour les trajectoires stables en termes d’emploi et de famille. Une biographie caractérisée par une absence prolongée de vie en couple – représentant une trajectoire familiale non normative dans le contexte suisse (voir Levy, 2018) – risque de mettre en danger la sécurité financière des femmes encore plus qu’une histoire de faible attachement au marché du travail. Ce dernier facteur a cependant des effets négatifs importants et persistants sur la satisfaction de vie des femmes. Cependant, ni les trajectoires professionnelles des hommes ni celles des femmes en Suisse ne semblent avoir un impact positif durable sur la satisfaction à l’égard des relations sociales après l‘âge de 50 ans.

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