La mobilité éducative des Secondos en Suisse

N°30, Juillet 2022
Philippe Wanner (Université de Genève) ,

July 4, 2022
How to cite this article:

Wanner, P. (2022). La mobilité éducative des Secondos en Suisse. Social Change in Switzerland, N°30. doi: 10.22019/SC-2022-00003

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Résumé

Cet article analyse la mobilité intergénérationnelle des Secondos en Suisse en comparant le niveau de formation de parents issus de la migration avec celui de leurs enfants. A l’aide de données statistiques originales, il montre que les enfants de migrants bénéficient en moyenne d’un niveau de formation supérieur à celui de leurs parents. La mobilité intergénérationnelle existe pour les Secondos, et elle est beaucoup plus souvent ascendante que descendante. Cet accroissement du niveau de formation correspond à ce qui s’observe pour les enfants de parents natifs de la Suisse. Globalement, le fait d’être issu de la migration ne représente donc pas un handicap en termes de mobilité ascendante. Cependant, au niveau des nationalités, l’accès à la formation tertiaire est beaucoup plus élevé pour les enfants originaires de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne et du Portugal que pour les enfants de familles originaires des Balkans.


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Introduction[1]

Pays d’immigration, la Suisse a enregistré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un très important flux migratoire, principalement en provenance des pays de l’Europe. Alors que l’on dénombrait 223 600 étrangers en Suisse en 1951, cet effectif fut multiplié par quatre jusqu’en 1980 (913 500). Entre cette date et aujourd’hui, il fut encore multiplié par plus de deux pour atteindre désormais un effectif de 2110 800 étrangers fin 2020. Ces chiffres, issus des recensements et registres fédéraux, sous-estiment cependant l’ampleur de la migration dans le sens où plusieurs centaines de milliers de personnes nées à l’étranger ont été naturalisées au cours de leur vie. Ainsi, la migration internationale est responsable de l’ensemble de la croissance démographique observée en Suisse au cours des quarante dernières années: en son absence, l’effectif de la population suisse aurait diminué.

L’immigration était d’abord le plus souvent de courte durée et organisée dans le cadre d’une politique de rotation de la main-d’œuvre. Cependant, la durée de séjour des ressortissants étrangers en Suisse s’est progressivement allongée, notamment depuis les années 1970 et le passage progressif à une politique visant l’intégration des familles migrantes. L’installation de la population issue de la migration a conduit à la naissance d’une génération d’enfants de migrants, appelés parfois les Secondos. Celle-ci est entrée dans le débat politique au début de la décennie 1980 (Bolzman et al., 1987 ; Steiner-Khamsi, 1985), notamment en lien étroit avec la discussion des conditions de naturalisation de cette population née ou ayant grandi en Suisse. Plus tard, la littérature scientifique s’est intéressée au processus d’adaptation des enfants de migrants à la société d’accueil entre assimilation, intégration et transnationalisme (Cattacin et al., 2016) et à leur réussite scolaire (Gomensoro & Bolzman, 2016 ; Felouzis et al., 2016).

Pour sa part, la question de la mobilité intergénérationnelle, en d’autres termes l’évolution du statut économique de l’enfant comparativement à celui des parents, donne lieu à une littérature étoffée qui s’intéresse notamment au poids que prend la classe sociale d’appartenance sur la destinée sociale des enfants (Falcon, 2016). Depuis les dernières décennies du 20e siècle, la recherche s’est concentrée sur les variations temporelles et régionales en termes de mobilité sociale (voir Falcon, 2012), ou celles en lien avec la conjoncture économique (Lévy et al., 1997), en laissant peu de place aux comparaisons entre les sous-groupes formant la société, notamment entre les différents groupes d’immigrés.

Pourtant, la mobilité intergénérationnelle des populations issues de l’immigration mérite une attention particulière dans un contexte d’une migration faiblement qualifiée, étant donné que l’enfant issu d’une origine étrangère doit souvent faire un effort important pour accéder à un statut plus élevé que celui de la génération des parents. Les barrières sont nombreuses et peuvent inclure un soutien scolaire peu optimal de la part des parents qui ne sont pas familiers avec le système scolaire suisse, des difficultés linguistiques, des réseaux manquants pour l’insertion dans le système d’apprentissage ou une discrimination à l’embauche. En même temps, l’investissement scolaire des enfants de migrants est encouragé par le fait qu’il représente pour ceux-ci un moyen de sortir d’une situation désavantageuse. Deux études conduites en Suisse autour de 2000 ont d’ailleurs montré une mobilité sociale ascendante plus importante pour les enfants de migrants, comparativement aux enfants natifs (Bauer & Riphahn, 2007 ; Bolzman et al., 2003).

La mobilité intergénérationnelle interroge en raison de la diversité des flux migratoires. En Suisse, un niveau de formation relativement faible caractérisait les populations migrantes jusqu’au début des années 1980, période où la migration de travailleurs était surtout orientée vers les activités faiblement rémunérées (construction, hôtellerie et restauration, agriculture, etc.). Cependant, les flux migratoires se sont progressivement transformés suite à la tertiarisation croissante de l’économie et à la spécialisation des activités professionnelles. Alliés à l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, dès 2002, qui a facilité l’employabilité des Européens, les atouts de la Suisse (stabilité politique, fiscalité favorable, etc.) ont renforcé l’arrivée de multinationales et l’activité hautement qualifiée. Cette transformation a conduit à une diversification des niveaux de formation des populations migrantes à la fin du 20e siècle. Durant cette période, des personnes hautement qualifiées originaires des pays de l’Europe occidentale sont arrivées en Suisse en même temps que des ressortissants des Balkans, faiblement ou moyennement qualifiés, fuyant les conflits en ex-Yougoslavie. Au cours des deux dernières décennies, le nombre d’arrivées de migrants faiblement qualifiés en direction de la Suisse a stagné tandis que celui des travailleurs hautement qualifiés en provenance des pays d’Europe occidentale et anglosaxons a fortement augmenté (Wanner & Steiner, 2018).

Dans ce contexte de diversification des flux migratoires, nous décrivons, à l’aide de données originales, l’évolution de la mobilité intergénérationnelle au sein des familles migrantes en termes de niveau de formation, en considérant deux types de mobilités. D’une part, la mobilité ascendante, définie par l’obtention pour un enfant de la deuxième génération d’un diplôme de niveau plus élevé que celui des parents ; d’autre part, la mobilité descendante, caractérisée par un niveau de formation chez l’enfant qui n’atteint pas celui des parents.

Données et méthodes

L’Office fédéral de la statistique effectue chaque année un relevé structurel qui concerne plus de 200 000 personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménage privé. Le fait que cette enquête soit annuelle permet de disposer d’un nombre important de répondants lorsque plusieurs vagues sont mises ensemble. L’échantillon de cette enquête est issu du registre des habitants, sur lequel repose également la statistique de la population (STATPOP).

Dans le cadre des activités du NCCR on the move, un programme national de recherche sur la migration, l’OFS a livré les données du relevé structurel et de STATPOP avec une clé permettant le lien entre les deux sources (Steiner & Wanner, 2015). STATPOP autorise par ailleurs l’identification de paires de parents et d’enfants. Ces bases de données présentent différentes lacunes au moment de l’établissement du lien entre parents et enfants (voir Wanner, 2019, p.51, pour plus de détails). Notamment, il est plus difficile d’identifier les enfants de personnes nées à l’étranger que les enfants de parents nés en Suisse. Cependant, pour notre analyse, nous pensons qu’il y a une indépendance entre la qualité de ces données et la mobilité intergénérationnelle et nous sommes confiants par rapport au fait que cette limite méthodologique ne remette pas en question nos résultats.

Le niveau de formation des personnes vivant en Suisse est disponible dans le relevé structurel. Afin de disposer d’informations pour un échantillon suffisant de personnes, les relevés structurels organisés entre 2010 à 2019 ont été considérés ensemble. Trois niveaux de formation sont définis conformément à la typologie proposée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) : secondaire I (sans formation primaire achevée et ceux ayant achevé l’école obligatoire), secondaire II (formation professionnelle élémentaire ou initiale – par exemple apprentissage –, école générale – par exemple maturité gymnasiale) et tertiaire (université, formation professionnelle supérieure, haute école). Dans le cas où à la fois un parent et un enfant ont participé au relevé structurel, nous disposons donc de l’information sur le niveau de formation achevé des deux générations et pouvons mesurer la mobilité intergénérationnelle.[2]

Les analyses portent sur les neuf principales communautés migrantes (définies par le lieu de naissance du parent) dont les enfants ont achevé leur formation. Ces neuf communautés couvrent trois pays frontaliers (Allemagne, France, Italie), deux autres pays de l’Union européenne (Portugal et Espagne) et quatre pays européens n’appartenant pas à l’UE/AELE (Turquie, Serbie, Macédoine, Kosovo). Les autres communautés n’ont pas été retenues faute d’un effectif suffisant. A titre comparatif, les analyses sont également conduites sur les enfants de natifs de la Suisse.

Seuls les enfants âgés de 25 à 44 ans à la date de leur participation au relevé structurel sont inclus. La limite d’âge inférieure permet de s’assurer que, dans la majorité des cas, l’enfant a eu le temps d’achever sa formation. La limite d’âge supérieure permet de nous focaliser sur la migration survenue au cours des 50 dernières années et de nous concentrer sur des enfants de la deuxième génération ayant achevé leur formation à la fin du 20e siècle ou au début du 21e.

Compte tenu du caractère non synchronisé des flux migratoires, les enfants des différentes communautés retenues présentent une structure par âge variable. L’âge médian des enfants au moment du relevé structurel varie entre 28 ans pour les Kosovars, pour qui les flux migratoires les plus importants se sont produits à la fin de la décennie 1990, et 35 ans pour les Allemands et Italiens, dont la migration s’étend sur une plus longue période (voir tableau 1).[3] Pour leur part, les parents présentent un âge médian compris entre 55 ans pour les Portugais, les Macédoniens et les Kosovars, et 66 ans pour les Allemands. Les écarts observés selon l’origine s’expliquent en partie par un calendrier de la constitution des familles qui peut varier d’une communauté à l’autre. Ainsi, l’écart d’âge entre deux générations est de 31 ans pour les Allemands et Espagnols, qui ont des enfants plus tardivement, contre 24 ans seulement pour les Serbes. L’annexe A.1 présente les pyramides des âges des différentes paires de parents-enfants, réparties selon l’origine.

Tableau 1 : Age médian des jeunes adultes de la deuxième génération et de leur parent, selon le lieu de naissance du parent

 Age médianEffectif
 Enfant de la 2e générationParent 
Allemagne36674709
France34644331
Italie35648932
Portugal29551202
Espagne33611671
Turquie30561353
Serbie3156  803
Macédoine3055  485
Kosovo2855  606

Source : OFS, Relevé structurel et STATPOP. Données de paires de parents-enfants (25-44 ans) identifiées dans le relevé structurel. Pondération par le poids attribué au parent.

Dans une première étape, le niveau de formation des primo-migrants et de la seconde génération est décrit séparément. Puis, la mobilité intergénérationnelle est présentée à partir de la reconstitution des paires parents-enfants. Enfin, l’impact de l’origine sur cette mobilité est précisé par un modèle multivarié tenant compte de différents facteurs de confusion.

Le niveau de formation des primo-migrants et de leurs enfants

La Figure 1 présente le niveau de formation des personnes primo-migrantes ayant répondu au relevé structurel entre 2010 et 2020, classées selon la nationalité et la période d’arrivée en Suisse. Il illustre le rapide accroissement du niveau de formation observé parmi les personnes s’installant en Suisse. Cet accroissement est très marqué parmi les communautés allemande (jusqu’à celles arrivées au début du 21e siècle), française, espagnole et italienne. Il est plus faible pour les autres communautés, notamment celles originaires du Portugal, de la Serbie et de la Macédoine. Parallèlement, la part des primo-migrants de niveau de formation secondaire I diminue pour toutes les communautés excepté la communauté portugaise, tout en restant élevée (supérieure à 40%) parmi les Turcs, Macédoniens et Kosovars. Ainsi, les différentes communautés présentent une forte diversité quant au niveau de formation.

Figure 1 : Niveau de formation de la 1ère génération de migrants, selon la période d’arrivée en Suisse. Personnes vivant en Suisse en pourcentage, 2010-2019

Source : OFS, Pool de données du relevé structurel. Personnes ayant répondu à une vague du relevé structurel entre 2010 et 2019, pour qui la date d’arrivée en Suisse est connue, quel que soit le statut parental. Données pondérées.

Puisque nous analysons les enfants âgés de 25 à 44 ans à la date du relevé structurel, leurs parents sont généralement arrivés en Suisse au cours des deux dernières décennies du 20e siècle ou, plus rarement, durant la première décennie du 21e siècle. Ces primo-migrants appartiennent donc généralement à des flux migratoires peu qualifiés. A l’exception des communautés allemandes et françaises (33% et 34% respectivement), la part des primo-migrants qui ont un diplôme de niveau tertiaire se situe entre 7% (Portugal) et 15% (Espagne, voir figure 2). En contrepartie, la proportion de parents de niveau secondaire I varie entre 11% pour les Allemands et 74% pour les Portugais, avec des taux supérieurs à 60% observés aussi pour les Turcs (64%), les Macédoniens (63%) et les Kosovars (61%). A titre comparatif, les parents natifs de la Suisse dont les enfants sont âgés de 25 à 44 ans présentent un niveau de formation inférieur à celui des Allemands et des Français (22% de parents de niveau tertiaire contre 21% de niveau secondaire I), mais plus élevé que toutes les autres communautés migrantes étudiées. Ils se caractérisent aussi par une proportion élevée de personnes de formation secondaire II (57%), conséquence du système de formation suisse, orienté vers l’apprentissage.

La comparaison du niveau de formation des enfants de la 2e génération fournit une première indication concernant la mobilité intergénérationnelle. Ainsi, ces enfants âgés de 25 à 44 ans montrent un niveau de formation systématiquement plus élevé que celui de leurs parents. Suivant la nationalité, la part des enfants titulaires d’un diplôme du niveau tertiaire varie entre 20% (Kosovo + 10 points de pourcentage par rapport à la génération des parents) et 54% (Allemagne + 21 points). Par opposition, la proportion d’enfants de niveau secondaire I varie entre 3% (Allemagne, – 8 points) et 14% (Macédoine – 49 points). Dans toutes les communautés, excepté la communauté allemande, la proportion d’enfants de niveau de formation secondaire II augmente aussi par rapport à celle de leurs parents. La progression de la part des personnes de niveau tertiaire d’une génération à l’autre caractérise aussi les natifs de la Suisse (de 22% à 46%). Par contre, chez ces derniers, la part du niveau secondaire II diminue, rejoignant ainsi le schéma observé pour les Allemands.

Figure 2: Niveau de formation de la 1ère et de la 2e génération des personnes issues de la migration et des natifs de la Suisse en pourcentage, 2010-2019

Source : OFS, Relevé structurel et STATPOP. Données de paires de parents-enfants (25-44 ans) identifiées dans le relevé structurel. Pondération par le poids attribué au parent.

Mobilité intergénérationnelle au sein de la famille

En considérant des paires parent-enfant, la mobilité intergénérationnelle peut être décrite. La Figure 3 présente à ce propos le niveau de formation achevé des enfants (âgés de 25 à 44 ans) en fonction de celui du parent, pour l’ensemble des communautés migrantes considérées ensemble et, pour comparaison, pour les natifs de la Suisse.

Pour les primo-migrants ayant uniquement achevé une formation de niveau secondaire I, la mobilité ascendante concerne 90% de leurs enfants : 32% d’entre eux atteignent le niveau tertiaire, et 57% le niveau secondaire II. Cette mobilité ascendante est similaire à celle observée chez les natifs (93%, dont 31% ayant atteint le niveau tertiaire). Pour les enfants de migrants dont le parent a achevé un niveau secondaire II, près de la moitié (46%) se caractérise par une mobilité ascendante (niveau tertiaire), une proportion identique à celle observée chez les parents suisses. La mobilité descendante, c’est-à-dire le fait de n’avoir achevé qu’une formation secondaire I alors que le parent est de niveau secondaire II, ne concerne que 5% des enfants. Enfin, parmi les primo-migrants de niveau tertiaire, 68% des enfants atteignent le même niveau, une proportion plus élevée que chez les natifs (63%). Dans ce groupe, la mobilité descendante est une situation minoritaire et concerne essentiellement un passage au secondaire II.

Ainsi, la mobilité intergénérationnelle ascendante est d’un niveau similaire dans les familles migrantes, comparativement aux familles natives de la Suisse. Malgré des barrières à la formation pour les enfants de migrants ayant été identifiées par la littérature, comme les discriminations ou les difficultés liées à la connaissance de la langue (voir Landoes 2022), les performances des enfants de migrants sont similaires à celles des enfants de natifs présentant la même origine sociale. Parmi les explications possibles signalons d’une part les aspirations éducatives élevées de certains enfants de migrants (voir notamment Bolzman et al., 2003) ; le fait que les familles migrantes ont à disposition en Suisse un système de formation plus inclusif que celui de leur pays d’origine peut aussi intervenir ; enfin, d’une manière plus générale, tous les groupes formant la société – migrants ou natifs – ont participé à l’accroissement régulière du niveau de formation observé dans les pays industrialisés. L’OCDE (2021) remarque d’ailleurs que « les pourcentages de diplômés de l’enseignement tertiaire nés dans le pays et nés à l’étranger tendent à suivre les tendances nationales générales ». Cependant, l’accès à une formation tertiaire varie en fonction de l’origine, et est plus aisé pour les enfants dont les parents appartiennent à des flux migratoires hautement qualifiés, comparativement aux enfants de primo-migrants moyennement ou faiblement qualifiés. La probabilité pour un enfant d’achever une formation tertiaire évolue donc en fonction de l’origine sociale des familles migrantes.

Figure 3 : Distribution du niveau de formation des enfants, selon le niveau de formation achevé du parent. Personnes issues de la migration et personnes natives, 2010-2019.

Source : OFS, STATPOP et relevés structurels. Données de paires de parents-enfants (25-44 ans) identifiées dans le relevé structurel. Pondération par le poids attribué au parent.

Une analyse détaillée montre des variations entre les pays d’origine dans la mobilité ascendante, dans le cas où le parent est de niveau secondaire I. L’accès à un diplôme de niveau tertiaire est alors plus important pour les Espagnols (38%) et les Français (37%) et elle est le plus faible parmi les Macédoniens (20%) et les Kosovars (13%). Ces derniers présentent le plus haut niveau d’immobilité (26% d’enfants restent de niveau secondaire I), devant les Macédoniens (18%) et les Serbes (16%). La proportion d’immobilité intergénérationnelle est en revanche inférieure à 10% chez les Allemands, les Espagnols et les Italiens.

Pour les enfants dont les parents ont achevé une formation de type secondaire II, une mobilité ascendante plus importante que la moyenne caractérise les Portugais et Allemands (50% et 49% respectivement atteignent le niveau tertiaire), tandis que les communautés balkaniques se spécifient par la plus faible mobilité ascendante. Enfin, pour les parents de niveau tertiaire, la mobilité descendante est observée principalement chez les enfants macédoniens (59% n’atteignent pas le niveau universitaire) et Kosovars (57%), voire Portugais (51%), alors qu’elle est faible pour les Allemands (30% des enfants d’universitaires n’atteignent pas ce niveau) et Français (32%).

Figure 4 : Niveau de formation de l’enfant, selon l’origine et le niveau de formation du parent. 2010-2019

Source : STATPOP et RS. Données de paires de parents-enfants (25-44 ans) identifiées dans le relevé structurel. Pondération par le poids attribué au parent.

A ce stade, les enfants ont été considérés ensemble, indépendamment de leur genre. Il est cependant intéressant de vérifier si des écarts s’observent selon ce critère. Globalement, dans le cas où le parent est de niveau secondaire I, un enfant de sexe féminin achève moins souvent une formation de niveau tertiaire (31% contre 38% pour un enfant de sexe masculin), un résultat également observé chez les Suisses (25% contre 39%). La même observation peut être faite pour la mobilité intergénérationnelle entre le niveau secondaire II et le niveau tertiaire (45% contre 48%). Cependant, des profils différents selon l’origine s’observent : la part des enfants de parents faiblement qualifiés (niveau secondaire I) ayant atteint un niveau tertiaire est plus élevée chez les garçons, comparativement aux filles, pour toutes les communautés de l’Union européenne, Portugal excepté. L’écart est d’environ 10 points de pourcentage. En revanche, chez les Portugais, la part d’enfants de sexe féminin qui atteignent le niveau tertiaire est significativement supérieure à celle des enfants de sexe masculin (40% versus 28%). Pour les communautés hors UE/AELE, un relatif équilibre s’observe entre hommes et femmes, excepté pour les enfants macédoniens, chez qui les enfants de sexe masculin performent mieux que ceux de sexe féminin (voir figure 5).

Figure 5 : Niveau de formation achevé de l’enfant, en fonction du sexe et de la nationalité d’origine de l’enfant, lorsque le parent est de niveau Secondaire I. 2010-2019

Source : STATPOP et RS. Données de paires de parents-enfants (25-44 ans) identifiées dans le relevé structurel. Pondération par le poids attribué au parent.

Nous examinons nos résultats descriptifs par une analyse multivariée qui tient compte, outre de la nationalité d’origine, de différentes variables susceptibles d’influencer comme le sexe et l’âge de l’enfant, la période d’arrivée en Suisse du primo-migrant, lorsque celle-ci est disponible, le statut de naturalisation du primo-migrant et le canton de résidence de l’enfant. Ces résultats multivariés confirment une plus forte immobilité intergénérationnelle des communautés n’appartenant pas à l’UE/AELE, ainsi qu’une mobilité ascendante plus marquée chez les enfants originaires du Sud de l’Europe, notamment les Italiens et Portugais. Pour leur part, les enfants de migrants issus des pays d’Europe occidentale (France et Allemagne), d’origine sociale plus élevée, se caractérisent par un risque accru de mobilité descendante, qui va dans le sens d’une homogénéisation du niveau de formation de la seconde génération. En d’autres termes, il semble y avoir chez ces deux communautés un effet de plafond, dans le sens où le niveau de formation des parents est déjà élevé, ce qui rend difficile pour les enfants d’accroître encore celui-ci.

Conclusion

Nos résultats documentent la mobilité intergénérationnelle pour différentes communautés migrantes issues des flux migratoires de la fin du 20e et du début du 21e siècle. Ils mobilisent des données administratives qui, malgré leur richesse, présentent certaines lacunes. Notamment, ces données ne fournissent pas d’indications sur les caractéristiques migratoires (motif de la migration, mobilité résidentielle sur le territoire suisse, etc.), ni sur le lieu de scolarisation du parent (uniquement en Suisse ou en partie en Suisse ou à l’étranger). Par ailleurs, elles ne permettent pas de distinguer les couples de parents originaires d’un même pays des couples binationaux. Quant aux enfants, si l’on peut penser que la plupart ont été scolarisés en Suisse, nous ne disposons pas de détails sur leur trajectoire scolaire autres que le niveau de formation le plus élevé atteint.

Malgré ces limites qui rendent impossible la formulation d’hypothèses expliquant les différences entre communautés, les résultats observés apportent une information intéressante sur la mobilité intergénérationnelle au sein des communautés migrantes. Ils actualisent par ailleurs les études de Falcon (2016), qui couvre l’ensemble du 20e siècle, et de Bauer et Riphahn (2007) qui repose sur des ménages familiaux dont les enfants sont toujours en âge de scolarité. En portant sur la formation la plus élevée achevée par la deuxième génération, une fois l’âge adulte atteint, nos données documentent d’une manière originale la mobilité intergénérationnelle.

Globalement, cette mobilité existe, et elle est beaucoup plus souvent ascendante que descendante. Le niveau de formation des populations issues de la migration traditionnelle, moyennement qualifiée, augmente d’une génération à l’autre. Cet accroissement correspond à ce qui s’observe au sein de la population native. D’un point de vue statistique, le fait d’être issu de la migration ne représente donc pas un handicap en termes de mobilité ascendante intergénérationnelle. Ce résultat ne veut pas pour autant dire que les barrières à la mobilité intergénérationnelle n’existent pas. Il indique que les populations migrantes sont capables de surmonter ces barrières, probablement en mettant un accent plus important sur la formation des jeunes, qui permet de sortir d’une situation sociale jugée défavorable.

Ce constat global cache cependant des profils variables en fonction de la nationalité, avec notamment un accès au niveau tertiaire qui est plus élevé pour les enfants originaires des pays voisins ou de l’Ibérie comparativement aux enfants de familles issues de l’immigration des Balkans. En ce qui concerne les différences selon le genre, la mobilité ascendante, exprimée par un diplôme tertiaire pour les enfants issus d’un parent de niveau secondaire I, est plus marquée chez les filles d’origine portugaise comparativement aux garçons ; par contre, elle est plus importante pour les garçons des autres pays de l’UE/AELE analysés et pour ceux originaires de Macédoine. Aucun écart entre les genres ne s’observe pour les autres communautés. Finalement, l’analyse montre une probabilité accrue, pour un enfant d’universitaire français ou allemand, de ne pas atteindre le niveau atteint par les parents, comparativement aux enfants des autres communautés migrantes. Cette mobilité descendante peut être due au fait que ces deux communautés présentent une migration hautement qualifiée, et que les enfants ont dès lors plus de peine à égaler le niveau de formation des parents.

Différents facteurs peuvent expliquer les écarts dans la mobilité intergénérationnelle observés en fonction de l’origine. Pour les communautés originaires d’un pays parlant une langue locale de la Suisse, la connaissance de la langue est un facteur pouvant favoriser le succès scolaire de l’enfant. Pour les Espagnols, qui sont un flux plutôt ancien, la deuxième génération est majoritairement née en Suisse (90%) et a été enrôlée dès le jeune âge dans le système scolaire suisse. C’est moins souvent le cas pour la deuxième génération des pays balkaniques : seuls 44% des enfants serbes, 23% des enfants macédoniens et 20% des enfants kosovars de notre échantillon sont nés en Suisse, le reste étant arrivés au cours de l’enfance. Or, l’âge à l’arrivée en Suisse est un facteur important de la réussite scolaire (Bratu et Dahlsberg, 2021 ; Lemmermann et Riphahn, 2018 ; Meunier, 2011). Par ailleurs, on ne peut pas exclure une discrimination au moment de l’orientation scolaire des élèves, notamment à la sortie du Secondaire I, au détriment de ceux qui sont plus éloignés des cultures suisses (Charmillot, 2013). Cependant, le fait que dans leur grande majorité, les enfants ayant un parent dont le niveau de formation n’excède pas le secondaire I performent mieux que leur parent reste l’indication d’un système scolaire offrant la possibilité d’une mobilité ascendante.

En conclusion, les résultats présentés dans cet article ont des conséquences pour les politiques d’intégration. Alors que l’économie se tertiarise et se spécialise, les nouvelles générations entrant dans le marché du travail nécessitent des compétences accrues. L’accroissement général du niveau de formation d’une génération à l’autre répond aussi aux transformations du marché du travail, avec une demande plus importante de main-d’œuvre qualifiée. Afin d’éviter l’émergence de minorités défavorisées, cantonnées dans des activités faiblement qualifiées, il est important de vérifier que le système scolaire offre à chacune et chacun, quel que soit l’origine, les mêmes chances de réussite. Les résultats concernant certains groupes hors UE/AELE montrent que certains freins existent encore, et que des efforts et adaptations sont encore nécessaires pour parvenir à cette égalité des chances.

Annexe

Figure A.1 : Age des enfants et des parents considérés dans l’analyse

  1. Cette recherché a été supportée par le National Center of Competence in Research nccr – on the move, financé par le Fonds national suisse (FNS).
  2. Une seule paire parent-enfant est considérée pour chaque parent. Dans les rares cas où plusieurs enfants ont participé au relevé structurel, l’information de l’enfant le plus âgé a été retenue.
  3. La date d’arrivée en Suisse des parents n’est pas connue pour une partie de ceux-ci, ce qui ne permet pas de décrire précisément l’appartenance de ces derniers aux flux migratoires successifs.

Bibliographie

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