La régularisation des travailleurs sans-papiers dans le canton de Genève

N°36, Décembre 2023
Giovanni Ferro-Luzzi (Université de Genève & HES-SO/HEG Genève), Jan-Erik Refle (Université de Genève), Claudine Burton-Jeangros (Université de Genève) & Yves Jackson (HUG),

December 11, 2023
How to cite this article:

Ferro-Luzzi, G., Refle, J-E., Burton-Jeangros, C., & Jackson, Y. (2023). La régularisation des travailleurs sans-papiers dans le canton de Genève. Social Change in Switzerland, N°36. doi: 10.22019/SC-2023-00007

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Résumé

L’Opération Papyrus était un dispositif inédit de régularisation d’une partie de la population de sanspapiers à Genève en 2017-2018. Des critères stricts étaient définis pour que les dossiers soumis soient traités sur une base égalitaire et transparente. Cet article discute l’impact de ce dispositif sur l'intégration sur le marché de travail des personnes nouvellement régularisées. Des données longitudinales recueillies auprès de la population qui a bénéficié de cette opération éclairent la réalité vécue par ces personnes lorsqu’elles changent de statut. Nos résultats suggèrent que l’Opération Papyrus n’a pas rapidement changé la situation des personnes nouvellement régularisées sur le marché de travail. En effet, leurs conditions de travail s’améliorent seulement très peu et la majorité reste active dans les mêmes secteurs d’activité, à savoir l’économie domestique et l’hôtellerie-restauration. En dépit de revenus qui se maintiennent à des niveaux bas, les recours à l'aide sociale sont rares.


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Introduction

En février 2017, le Conseil d’État genevois annonçait la mise en œuvre de l’Opération Papyrus. Ce projet-pilote visait à régulariser des personnes sans titre de séjour sur la base d’un certain nombre de critères objectifs : ne pas avoir d’antécédents pénaux, avoir un emploi permettant de vivre de manière autonome, vivre à Genève depuis au moins 10 ans/5 ans pour les familles, maîtriser le français au niveau A2. Cette opération s’est déroulée de 2017 à 2018, avec la collaboration du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Dans ce cadre, 2 883 personnes ont reçu un permis B, dont 1 676 (58.1%) dans le cadre d’une demande en tant que membres d’une famille (Conseil fédéral 2020).

L’Opération Papyrus a soulevé de nombreuses questions sur les plans juridique, social, et économique. Le travail au noir questionne la capacité des États à contrôler les flux migratoires et les relations de travail, tout en représentant un important manque à gagner pour l’Etat en termes d’assurances sociales et d’impôts. Il soulève aussi des questions éthiques, relatives à l’absence de protection de personnes vulnérables et à des employeurs peu scrupuleux et ne respectant pas les lois en matière de conditions de travail.

La régularisation des migrants sans papiers n’est pas nouvelle en soi et de nombreux pays y ont recouru, parfois à plusieurs reprises et avec des conditions plus ou moins contraignantes. Ces programmes de régularisation ont été plus particulièrement déployés dans les pays du sud de l’Europe, notamment avec des « amnisties » en masse (Chauvin et al., 2013). Un autre dispositif récent en Irlande a régularisé environ 5 000 personnes en 2022, tout en mettant en avant son caractère unique et limité dans le temps. Néanmoins, le nombre de programmes de régularisation reste limité, combinant des mécanismes permanents et d’autres ad hoc à travers l’Europe (Heylin & Triandafyllidou, 2023).

Si des régularisations à titre individuel ont déjà eu lieu par le passé en Suisse, la nouveauté de l’Opération Papyrus tient à la double « mise en conformité » du marché du travail, tant du côté de l’offre que de celui de la demande. Les personnes intégrées et financièrement autonomes se voient accorder un statut légal au cas par cas, et les employeurs ne déclarant pas leurs employé-es aux assurances sociales ou pratiquant des salaires inférieurs au minimum légal – essentiellement dans l’économie domestique, l’hôtellerie et la restauration – reçoivent de forts incitatifs à respecter les règles de manière analogue aux autres secteurs. Ce cadre d’application distingue clairement l’Opération Papyrus des amnisties généralisées pratiquées dans d’autres pays européens et aux Etats-Unis. L’Opération Papyrus a en effet ciblé des profils-types qui respectaient un ensemble de critères et a procédé au cas par cas, refusant les dossiers ne remplissant pas ces critères, tout en limitant le caractère arbitraire et opaque du système de régularisation antérieur. L’Opération Papyrus n’a requis aucun changement législatif puisque le cadre légal (articles 30 al. 1 let. b LEtr et 31 de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative, OASA; RS 142.201) a continué d’être appliqué, mais avec une interprétation homogène et cohérente fondée sur des critères explicites dans le canton de Genève[1].

Les enjeux de la régularisation

Pour décrire les conséquences de la régularisation sur le marché de travail genevois, nous abordons deux questions en lien avec les débats politiques associés à l’Opération Papyrus :

  1. La régularisation contribue-t-elle à une amélioration de la situation économique ?
  2. La régularisation accroît-elle le risque que les personnes régularisées recourent à l’aide sociale ?

La première question concerne un effet qui est un lien avec les possibilités élargies qu’offre la régularisation. En effet, la régularisation permet aux personnes ayant reçu un permis B d’être sujettes aux mêmes conditions que toutes les autres personnes au bénéfice du même permis, ce qui signifie une moindre possibilité d’exploitation par l’employeur de la situation de précarité. La personne régularisée mais insatisfaite de ces conditions peut plus aisément chercher un autre employeur ou augmenter son taux d’occupation auprès des employeurs respectant les usages. Ce déplacement était favorisé par l’opération Papyrus pour ne pas créer une distorsion du marché de travail. En lien avec la mise en conformité des conditions de travail, on peut s’attendre à une amélioration de la situation économique parmi les personnes nouvellement régularisées. Une préoccupation d’ordre politique liée à la régularisation des personnes en situation irrégulière concerne un éventuel effet d’appel d’air : la régularisation pourrait attirer de nouveaux sans-papiers dans les postes de travail laissés vacants par les personnes régularisées (Boswell & Straubhaar 2004).

Concernant la seconde question relative aux recours à l’aide sociale, l’Opération Papyrus avait deux particularités. D’une part, les personnes sans statut légal nourrissent généralement une méfiance et une crainte des institutions étatiques, en raison de leur statut. D’autre part, l’octroi d’un permis B limité à 1 ou 2 ans et son renouvellement régulier sont conditionnés au non-recours à l’aide sociale, de sorte qu’il est difficile d’imaginer qu’une fois régularisées, ces personnes se précipiteraient à l’aide sociale.

L’Opération Papyrus a été élaborée avec l’intention explicite d’assainir le secteur de l’économie domestique où sont employé-es de nombreuses personnes sans statut légal. Cet assainissement visait à garantir que les conditions d’emploi respectent leur contrat-type, la rémunération minimale et le paiement par l’employeur des cotisations sociales. L’économie domestique est traditionnellement plus sujette aux infractions au cadre légal régissant les relations de travail car les employeurs (parfois aussi les travailleurs sans-papiers) rechignent à déclarer la relation d’emploi et à payer les cotisations sociales, en raison du surcoût financier, mais aussi par ignorance dudit cadre légal. De plus, l’État peine à surveiller un secteur d’activité essentiellement intra-domiciliaire. Une campagne d’information comprenant des avertissements dissuasifs a d’ailleurs incité de nombreux ménages privés à se mettre en règle au moment de l’Opération Papyrus. En effet, l’Office cantonal de l’inspection du travail (OCIRT) a constaté une hausse cumulée de 36% en 2017, par rapport à 2016, des adhésions à « Chèque Service », une prestation qui permet de faciliter la déclaration d’un emploi domestique et de verser les cotisations sociales et les impôts afférents. Une bourse aux emplois pour l’économie domestique a également été mise en place pour favoriser les relations de travail conformes aux usages et aux lois.

Deux bases de données sur les sans-papiers et les régularisés

Pour répondre à nos interrogations, nous mobilisons deux bases de données. D’une part, les données utilisées dans le cadre du mandat d’évaluation confié par le Département de l’économie et de la sécurité à l’IREG (Ferro-Luzzi et al. 2019). Cette base de données inclut 543 personnes dont 304 sans papiers et 239 régularisées entre 2015 et 2019, qui ont été sondées à une seule reprise entre 2017 et 2019. D’autre part, les données proviennent de l’étude Parchemins qui vise à mesurer les effets de la régularisation sur la santé et les parcours de vie des migrants sans-papiers (Jackson et al. 2019, Refle et al. à paraître). L’étude Parchemins a été financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique ainsi que différentes institutions publiques et privées. Elle a suivi des personnes sans papiers et des personnes régularisées de 2017 à 2022 au cours de quatre vagues de récolte de données, avec un échantillon de 468 personnes dans la première vague et 260 dans la dernière[2] (Figure 1).

Figure 1: Etude Parchemins: Statut des participants

Données: Etude Parchemins

Comme il s’agit de deux bases de données distinctes, la population sondée diffère légèrement, notamment en ce qui concerne les secteurs d’activité, avec un nombre plus élevé de personnes actives dans le secteur du travail domestique dans l’étude Parchemins (Ferro-Luzzi et al. 2019 ; Jackson et al. 2022). Il faut souligner que ces deux échantillons ne couvrent que le sous-groupe de personnes durablement installées à åGenève. Enfin, un « groupe de contrôle » a été constitué par l’inclusion de personnes sans statut légal mais auxquelles il manquait une ou deux années de séjour pour être éligibles.

Qui sont les sans-papiers installés durablement dans le canton de Genève ?

Le profil-type de la personne sans statut légal et durablement installée à Genève est une femme d’une quarantaine d’années provenant d’Amérique latine, ayant une formation secondaire et travaillant dans le secteur de l’économie domestique. En effet, pratiquement les trois quarts des personnes régularisées et plus des deux tiers des sans-papiers sont des femmes (voir Tableau 1).

La plupart ont indiqué des motifs économiques et la volonté d’améliorer l’avenir de leurs enfants comme principales raisons de leur projet migratoire. Deux tiers des personnes sont originaires d’Amérique latine (en particulier du Brésil et de la Bolivie), une plus faible proportion vient d’Asie (20%, essentiellement des Philippines) et une petite minorité d’Afrique et d’Europe hors UE/AELE. Souvent, les participant-es envoient une partie de leur revenu vers le pays d’origine où sont restés leurs enfants. Plus de la moitié des répondants régularisés ont obtenu au moins une formation de niveau secondaire et un cinquième de niveau tertiaire (université ou haute école). Cependant, la majorité des emplois exercés à Genève par ces personnes ne requiert pas de formation post-obligatoire.

Au début de l’Opération Papyrus, le principal secteur d’emploi est l’activité domestique, surtout des femmes (ménage, garde d’enfants et de personnes âgées), suivi par le bâtiment et l’hôtellerie/restauration, surtout occupé par des hommes (voir Tableau 1). D’autres personnes travaillent dans diverses activités tertiaires (déménagement, nettoyage industriel, vente, santé, coiffure, esthétique, etc.).

Tableau 1 : Profil des participants à l’étude Parchemins

 Ensemble FemmesHommes
Âge (médian, écart-type, N)44.1 (10.5), 46845.4 (10.6), 33740.8 (9.5), 131
Vivant en couple (%, N)47%, 46841%, 33764%, 131
Région d’origine (%, N)
Europe de l’Est9%, 401%, 329%, 37
Amérique latine64%, 29972%, 24145%, 58
Afrique8%, 355%, 1615%, 19
Asie du Sud-Est20%, 9323%,7712%, 16
Années de séjour à Genève (médiane, écart-type, N)11.7 (5.4), 46711.8 (5.2), 33711.5 (5.8), 130
Secteur d’activité (%, N)
Économie domestique72%, 29790%, 27818%, 19
Construction7%, 270.0%, 026%, 27
Hôtellerie & Restauration9%, 383%, 829.%, 30
Autres services8%, 314%, 1119%, 20
Autres branches (agriculture, industrie)5%, 204%, 137%, 7
Transferts d’argent (% oui, N)66%, 46370%, 33356%, 130
Capacité à payer une facture imprévue de 1 500 CHF (% oui, N)34%, 46631%, 33542%, 131
Base de données : Parchemins

Ces personnes exercent souvent une activité auprès de plusieurs employeurs et de manière irrégulière, en partie ou intégralement sur appel, avec une charge de travail variable pouvant être entrecoupée de périodes d’inactivité. Selon les données Parchemins concernant les personnes en emploi, les hommes travaillent en moyenne 38 heures par semaine et les femmes 32 heures. Les personnes régularisées travaillent en moyenne 35 heures par semaine contre moins de 30 heures pour les sans-papiers (Figure 2). Les femmes ont en moyenne davantage d’employeurs que les hommes.

Figure 2: Heures travaillés par semaine

Données: Etude Parchemins

Le volume de travail dépend du secteur d’activité. Sans compter les heures de travail en période de pandémie de Covid-19, il se monte à 32 heures hebdomadaires en moyenne dans l’économie domestique, 41 heures dans la restauration/hôtellerie et 42 heures dans la construction. La pandémie de Covid-19 a particulièrement impacté le secteur de la restauration/hôtellerie avec une réduction de 10 heures par semaine en moyenne. Le statut légal est crucial pour la déclaration des emplois auprès des assurances sociales. En effet, la proportion des emplois déclarés est de 41% pour les personnes sans statut légal alors qu’elle se monte à 85% six mois après la régularisation.

Au niveau de la mobilité professionnelle post-régularisation, les données du mandat montrent que 95% des relations d’emploi sont restées inchangées à 6 mois et cette proportion se stabilise ensuite à 79%, suggérant donc qu’environ une personne sur cinq change d’emploi à moyen terme, un taux supérieur à celui observé pour la population résidente qui est de 9% (OFS, 2019). Les données Parchemins confirment qu’il n’y a pas de changement rapide et massif de secteurs d’emploi, même plusieurs années après la régularisation.

La principale motivation à changer d’emploi est le souhait d’augmenter son revenu (45%), mais aussi ses heures de travail (21%) et de changer de secteur (19%). La difficulté à trouver de nouveaux emplois s’explique par l’espoir souvent frustré de personnes surqualifiées pour leur activité courante couplée à la non-reconnaissance de diplômes étrangers ainsi qu’une maîtrise limitée du français. Ce taux d’échec dans la recherche d’emploi est supérieur à 60% chez les sans-papiers, mais tombe à 40% chez les régularisés, pour qui les opportunités sur le marché de travail se sont élargies.

Selon une approximation de la rémunération horaire médiane, les valeurs nettes pour les sans-papiers se trouvent autour de 15 CHF/heure, tandis que les régularisés recevaient 19 CHF/heure avant l’introduction du salaire minimum légal dans le canton de Genève en 2020. Les salaires horaires nets après cette introduction s’élèvent à 17 CHF et 22 CHF en 2020/2021 respectivement. Même si nous ne disposons que d’informations partielles – notamment en ce qui concerne les charges sociales – nos données montrent que le salaire minimum est respecté (23 CHF/heure bruts en 2020) pour la plupart des personnes régularisées. Son introduction semble cependant avoir augmenté à la fois le salaire des personnes régularisées et des sans-papiers.

La situation économique

L’autonomie économique constitue l’un des critères d’évaluation des dossiers pour limiter le risque de recours à l’aide sociale. Les données relatives au revenu et au patrimoine sont notoirement difficiles à collecter, a fortiori pour cette sous-population.

Sans surprise, les données révèlent des revenus nets du ménages plutôt bas avec un revenu net médian d’environ 3 000 CHF par mois et par ménage régularisé (ce qui correspond à un revenu brut d’environ 3 500 CHF/mois). La précarité monétaire est plus grande pour les sans-papiers avec un revenu net médian de 1 800 CHF par mois (Figure 3). La comparaison des deux groupes ne suggère pas d’amélioration majeure de la situation économique à travers le temps.

Pour tenir compte de la taille du ménage, il est courant de « normaliser » le revenu en le rendant équivalent à celui d’une personne vivant seule. Pour les répondants régularisés, le revenu disponible mensuel équivalent médian est d’environ 2 600 CHF, ce qui situe ces personnes tout en bas de la distribution des revenus au sein de la population résidente[3]. Pour les sans-papiers, la valeur médiane est aux alentours de 1 600 CHF par mois. Sur la base de cet indicateur, le taux de risque de pauvreté[4] est supérieur à 70% pour les sans-papiers, alors que la proportion tombe à moins de 50% pour les ménages régularisés. Il existe également un écart notable entre les risques de pauvreté des hommes (40%-50%) et celui les femmes (50%-65%).

Figure 3: Revenu net du ménage

Données: Etude Parchemins

Qu’en est-il de l’aide sociale ? Moins de 1% des répondants de l’étude Parchemins avaient fait appel à l’Hospice général. Au moment de la pandémie de Covid-19, 5% des participants régularisés ont temporairement recouru à l’aide sociale. Cette proportion reste en dessous du taux de 6,7% relevé dans la population résidente du canton de Genève en 2021 (Office fédéral de la statistique 2022). Vu l’impact de la pandémie sur certains secteurs comme la restauration, ce chiffre reste faible et un recours massif à l’aide sociale n’est donc pas constaté.

Nos données suggèrent que la pandémie a retardé le développement des effets bénéfiques liés à l’obtention d’un permis de séjour et engendré une forte instabilité parmi les personnes sans-papiers (Burton-Jeangros et al. 2020). Ces dernières ont notamment perdu davantage d’heures de travail, et ont par conséquent vu leur revenu diminuer plus fortement. Les personnes régularisées ont bénéficié d’une forme de « filet de sécurité » grâce à leur accès aux prestations sociales, auxquelles les sans-papiers n’ont pas eu entièrement droit.

Conclusion

L’Opération Papyrus menée dans le Canton de Genève constitue une expérience riche en enseignements pour informer la politique migratoire en Suisse. Les leçons apprises peuvent intéresser les autres cantons à plusieurs titres. En premier lieu, cette politique de régularisation s’est fondée sur des conditions rigoureuses d’intégration et d’autonomie financière dans le strict respect du cadre légal préexistant. Elle a permis d’assainir les relations d’emploi dans certains secteurs où le travail au noir est encore présent, en particulier l’économie domestique. L’analyse des données longitudinales ne pointe pas vers la présence de distorsions majeures du marché de travail, comme le possible départ massif des personnes régularisées vers d’autres secteurs de l’économie, laissant leurs postes vacants qui attirent d’autres migrants sans papiers pour les remplacer. S’il n’est pas possible de tester de manière directe cette hypothèse, la relative stabilité des relations d’emploi avant et après la régularisation ne semble pas suggérer de départs massifs (même si les personnes régularisées essaient de diversifier et d’améliorer leur situation professionnelle). Comme anticipé, et en raison du risque important de perdre son permis en cas de recours à l’aide sociale, très peu de personnes ont demandé une aide sociale. Enfin, bien qu’une amélioration de la situation économique soit observée chez les personnes nouvellement régularisées, elle reste plutôt limitée à court terme.

L’Opération Papyrus permet surtout aux autorités de mettre fin à une situation jugée hypocrite qui tolère la présence de migrants sans permis de séjour pour répondre à des besoins sociaux et économiques, tout en acceptant la persistance d’abus structurés. Enfin, la politique de régularisation conçue à Genève contribue à améliorer l’équité et la cohérence de l’application de la Loi sur les étrangers, restreignant la part d’arbitraire dans l’évaluation des dossiers individuels qui était la norme jusqu’alors. Bien entendu, cela requiert l’engagement de moyens par l’État, mais ce dernier y gagne sur différents plans, notamment par les nouvelles contributions aux assurances sociales, et cela sans voir les prestations d’aide sociale augmenter. Enfin, la campagne de sensibilisation des employeurs dans le secteur du travail domestique a permis une meilleure couverture avec les assurances sociales des employé-es y compris les sans-papiers.

Remerciements

Nous remercions Aline Duvoisin pour son travail sur les données.

  1. L’évolution institutionnelle en regard de la thématique des sans-papiers en Suisse est détaillée dans la première partie du rapport mandaté par le Conseil d’État (Ferro-Luzzi, et al., 2019).
  2. Les associations d’aide aux migrants qui ont participé au développement de l’Opération Papyrus ont fourni une aide précieuse pour recruter les participants.
  3. En Suisse en 2016, le revenu disponible équivalent médian est de 4 121 CHF (OFS).
  4. Ce seuil correspond à 60% de la médiane du revenu disponible équivalent au sein de la population résidente Suisse en 2021 (Office Fédéral de Statistique 2021).

Bibliographie

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