Sécularisation et inclusion. L’évolution des groupes religieux locaux en Suisse, 2008 – 2022
Stolz, J., Köhrsen, J., Senn, J., Monnot, C., Buzzi, A-L., & Hearn, A. (2024). Sécularisation et inclusion. L’évolution des groupes religieux locaux en Suisse, 2008 – 2022. Social Change in Switzerland, N°39. doi: 10.22019/SC-2024-00005
© the authors 2024. This work is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License (CC BY 4.0)
Résumé
Les groupes religieux locaux tels que les paroisses, les mosquées, les synagogues, et les centres spirituels restent la principale forme d'organisation de la religion en Suisse. La deuxième vague du National Congregation Study Switzerland analyse l'évolution du paysage religieux en Suisse entre 2008 et 2022. Cette enquête recense tous les groupes religieux locaux sur le territoire suisse et interroge un échantillon représentatif de responsables spirituel·les sur les caractéristiques et les activités de leur groupe religieux local. Cet article présente deux résultats. Premièrement, la ten-dance à la sécularisation persiste : le nombre de groupes locaux en Suisse a diminué et l'âge moyen des dirigeant·es et des participant·es a augmenté de manière significative. Deuxièmement, les groupes religieux locaux sont devenus plus inclusifs. D’une part ils incluent davantage les per-sonnes homosexuelles et, d'autre part, le leadership des femmes est plus accepté et plus pratiqué. Il existe toutefois d'importantes différences entre les traditions religieuses et plusieurs exceptions à ces tendances générales.
Copyright
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Introduction
Les groupes religieux locaux tels que les paroisses, les mosquées, les synagogues, et les centres spirituels continuent d’être la principale forme d’organisation de la religion en Suisse comme dans tous les pays européens (Baumann 2012). Étant donné que les groupes religieux locaux sont des institutions qui fournissent des valeurs et un soutien social à de nombreux citoyens, il est utile de savoir comment le champ religieux évolue au fil du temps, notamment en ce qui concerne deux débats actuels.
La sécularisation fait l’objet d’un débat en Suisse et en Europe en général. Certains affirment que la société est sujette à un processus de sécularisation générale (Bruce 2011, Stolz 2020, Stolz, Bünker et Liedhegener 2022). Cependant, d’autres ont soutenu que nous n’assistons pas à une sécularisation, mais plutôt à une transformation religieuse (Gauthier 2020, Cipriani 2017, Müller 2020). Selon ce courant de recherche, le déclin religieux concerne principalement les grandes églises chrétiennes reconnues (réformées, catholiques), tandis que les groupes chrétiens non reconnus (évangéliques, chrétiens orthodoxes) et non-chrétiens ne subissent pas de déclin, voire connaissent une dynamique de croissance. Ainsi, plus que la sécularisation, le phénomène religieux majeur serait la diversification religieuse (Vertovec 2007, Griera 2018, Martinez-Arino 2018). Nos résultats contribuent à ce débat en montrant qu’il existe une tendance à la sécularisation dans le domaine religieux en général, et pas seulement parmi les groupes chrétiens reconnus. Il existe des exceptions, certaines traditions religieuses étant même en expansion, mais ces cas ne peuvent pas compenser la tendance générale à la sécularisation.
Un autre débat concerne l’inclusion des différentes traditions religieuses. Au cours des dernières décennies, les sociétés postindustrielles ont évolué très rapidement vers une plus grande inclusivité en ce qui concerne le leadership féminin et l’acceptation de modes de vie sexuels non traditionnels tels que l’homosexualité (Inglehart et Norris 2003). Dans ce contexte, de nombreuses religions sont apparues comme “rétrogrades”, car elles adoptent des positions plus patriarcales que le courant sociétal dominant (Stolz et Monnot 2019, Tausch 2025, Poushter et Kent 2020). Nos résultats contribuent à ce débat en mettant en évidence une lente tendance globale vers une plus grande inclusivité en ce qui concerne l’acceptation des personnes homosexuelles au sein des groupes religieux locaux. Nous faisons également état d’une tendance séquentielle au sein des groupes religieux locaux vers une plus grande acceptation et une plus grande pratique du leadership religieux des femmes. Il existe toutefois d’importantes différences entre les traditions religieuses en ce qui concerne ces changements.
Cette étude répond donc à la question de recherche suivante : comment les caractéristiques et les activités des groupes religieux locaux en Suisse ont-elles évolué entre 2008 et 2022 ? Nous nous concentrons sur deux résultats principaux : la sécularisation et l’inclusivité des groupes religieux locaux. Vous trouverez en outre d’autres résultats sur le site www.congregation.ch.
En 2008/2009 comme en 2020/2021[1], la méthode a consisté à dénombrer tous les groupes religieux locaux sur le territoire suisse (recensement), puis à interroger un échantillon représentatif de responsables spirituel·les sur les caractéristiques et les activités de leur groupe (enquête).
Nous avons d’abord procédé à un recensement, en comptant et en catégorisant systématiquement tous les groupes religieux locaux en Suisse en 2008 et en 2020. Un groupe religieux local est défini comme un groupe de personnes qui se réunit physiquement et régulièrement dans un but explicitement religieux (Chaves 2004). Les groupes religieux de toutes les religions ont été interrogés : protestants réformés, catholiques, évangéliques, chrétiens orthodoxes, autres chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, hindous, et « autres religions ». (par exemple, spiritualités alternatives, nouveaux mouvements religieux). La manière dont nous avons appliqué notre définition est restée la même à travers les deux vagues (voir note en annexe).
Nous avons ensuite mené une enquête : en 2008/2009 et en 2022/23[2], un échantillon aléatoire stratifié a été sélectionné à partir de la liste complète des groupes religieux locaux. Pour chaque groupe sélectionné, un informateur clé (dans la plupart des cas, le responsable spirituel) a été identifié. Nous avons interrogé cet·te informateur·ice clé sur les caractéristiques et les activités des groupes religieux locaux dans l’une des trois langues nationales principales de la Suisse. Les quelque 200 questions posées sont centrées sur des pratiques et des caractéristiques concrètes et vérifiables des groupes. En 2008, tous les entretiens ont été menés par téléphone. En 2022, les entretiens ont été menés soit par téléphone, soit en ligne. En 2008, 1022 entretiens ont été réalisés (taux de réponse : 60,3%). En 2022, 1395 entretiens ont été réalisés (taux de réponse : 45,4%).
Sécularisation : moins de groupes et moins de participant·es
Entre 2008 et 2020, le nombre total de groupes religieux locaux et le nombre de participant·es régulier·ères aux célébrations religieuses ont diminué. Le nombre de groupes religieux locaux est passé de 6’341 à 5’883 groupes (Senn, Stolz et Monnot 2024). Cela représente une diminution de 7,2 %. Avec l’augmentation de la population sur cette même période, nous sommes passés d’une communauté pour 1’184 habitant·es en 2008 à une communauté pour 1’476 habitants en 2020. Cette baisse peut être interprétée comme un signe de la sécularisation continue de la société suisse.
Le nombre total de participant·es régulier·ères aux rituels des groupes religieux locaux en Suisse a également diminué, passant d’environ 894’000 à 824’000. Nous estimons ces chiffres en multipliant le nombre de groupes par la moyenne des participant·es régulier·ères calculée avec notre échantillon représentatif. Le nombre moyen de participant·es régulier·ères par communauté est resté pratiquement inchangé entre 2008 (141) et 2022 (140). Cependant, comme le nombre total de groupes a diminué en 2020, nous arrivons à un nombre de participant·es régulier·ères nettement inférieur en 2022. En pourcentage, cela signifie qu’en 2008, environ 11,6 % de la population assistait régulièrement à un service religieux, contre 9,5 % en 2022. Notez que ces chiffres sont basés sur les estimations des participant·es régulier·ères par les informateur·ices clés.
Graphique 1 : Nombre de groupes apparus, restés et disparus, par tradition religieuse (2008 et 2020)
Note: données des recensements 2008 et 2020
Jusqu’à présent, nous avons examiné l’évolution du nombre total de groupes et de participant·es. Mais le nombre de groupes a évolué de manière très différente selon la tradition religieuse concernée. Le graphique 1 montre, pour chaque tradition, le nombre de groupes qui a disparu (en rouge), qui est apparu (en vert) et qui est resté (en bleu) entre 2008 et 2020. Le graphique suscite en outre quatre observations.
Premièrement, nous constatons que les grandes traditions religieuses reconnues, à savoir réformée et catholique, connaissent principalement des pertes de groupes au cours de la période d’observation, généralement par le biais de fusions. De même, les dénominations évangéliques conservatrices perdent elles aussi des groupes.
Deuxièmement, la situation est très différente pour la tradition évangélique charismatique (ou pentecôtiste). Cette tradition se développe dans le monde entier (Zurlo, Johnson et Crossing 2020). Dans le cas de la Suisse, nous constatons que de nombreux nouveaux groupes évangéliques charismatiques ont été créés depuis 2008 (241). Cependant, dans le même temps, de nombreux groupes évangéliques charismatiques ont disparu (236). Le nombre total de groupes est donc resté stable (720 à 725, +0,7%). De même, le nombre moyen de participant·es régulier·ères est resté relativement stable, avec 169 participant·es 2008 contre 161 en 2022. Le nombre de groupes évangéliques charismatiques ne croît donc pas en Suisse, mais le taux de rotation y est élevé.
La famille de groupes religieux qui a le plus progressé entre 2008 et 2020 est celle des chrétiens orthodoxes. Ils sont passés de 70 communautés locales en 2008 à 118 en 2020 (+69%). Cette évolution est causée par des flux migratoires récents, eux-mêmes liés aux conflits en Syrie, en Éthiopie et en Érythrée. L’effet de la guerre en Ukraine n’est pas visible dans nos données, puisque la collecte des données de recensement s’est arrêtée en 2021, avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine (24 février 2022). L’autre religion non-chrétienne au sein de laquelle le nombre de groupes a fortement augmenté est le bouddhisme (+14 % de groupes, de 141 à 161). Cependant, la raison de cette augmentation ne réside pas dans l’immigration, mais dans un plus grand succès parmi les citoyen·nes suisses.
Le nombre de mosquées musulmanes a légèrement diminué entre 2008 et 2020 (323 à 311). Cependant, durant la période d’observation, le nombre de musulman·es en Suisse a augmenté de manière significative (+28%) (Office fédéral de la statistique 2022a). De plus, le nombre moyen de participant·es régulier·ères aux mosquées a nettement augmenté (+13%). Cet état de fait peut s’expliquer par les difficultés que rencontrent les musulman·es lorsqu’il s’agit de trouver des espaces pour de nouvelles mosquées (Monnot 2013).
Sécularisation : moyenne d’âge plus élevée des dirigeant·es et des participant·es régulier·ères
Entre nos deux vagues, l’âge moyen des responsables religieux·ses et des participant·es régulier·ères a augmenté de manière significative. Entre 2008 et 2022, l’âge moyen des responsables religieux·ses a augmenté de 3 ans, passant de 50,8 à 53,8 ans. Au cours de la même période, l’âge moyen de la population active suisse n’a augmenté que de 1,2 an, passant de 40,8 à 42 ans. (Office fédéral de la statistique 2024). La population des responsables religieux·ses est donc plus âgée et vieillit en moyenne plus rapidement que le reste de la population active. Cela s’explique par le fait que trop peu de jeunes responsables religieux·ses sont recruté·es. Cette tendance au vieillissement est visible dans les Églises reconnues, ainsi que dans les communautés chrétiennes non reconnues et non-chrétiennes. Les seules exceptions sont les évangéliques conservateurs et les « Autres groupes chrétiens » (graphique 2).
Le même phénomène s’observe en ce qui concerne les participant·es régulier·ères des groupes religieux (annexe graphique A1). La proportion de participant·es régulier·ères âgé·es de 60 ans ou plus est passée de 41% en 2008 à 50% en 2022. Chez les résident·es suisses, entre 2010 et 2022, le même pourcentage n’a progressé que de 23% à 26% (Office fédéral de la statistique 2022b). Là encore, l’explication réside dans le fait que les jeunes participant·es ne sont pas assez nombreux·ses pour remplacer les cohortes plus âgées. La proportion croissante de personnes âgées parmi les participant·es régulier·ères n’est pas surprenante en ce qui concerne les églises reconnues, où le pourcentage de participant·es régulier·ères de plus de 60 ans était déjà majoritaire en 2008. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est que cette tendance au vieillissement est également présente chez les chrétien·nes non reconnus et même dans les traditions non-chrétiennes. Dans l’ensemble, le vieillissement des responsables religieux·ses et des participant·es régulier·ères est un indicateur de la sécularisation de la société suisse. Lorsque nous évaluons les pourcentages de participant·es régulier·ères âgés de 60 an ou plus, nous devons nous rappeler que ces chiffres ne sont pas basés sur des recensements, mais sur les estimations fournies par les informateur·ices clés.
Graphique 2: Age moyen des responsables spirituel·les par tradition religieuse (2008 et 2022)
Notes :
(1) Base de la flèche : pourcentage en 2008 ; pointe de la flèche : pourcentage en 2022.
(2) Les changements sont significatifs au moins au niveau alpha < 0,05 sauf pour les évangéliques classiques, les chrétiens orthodoxes, les « autres chrétiens », les juifs et les musulmans.
Inclusivité : plus d’ouverture à l’homosexualité
L’acceptation de l’homosexualité est plus lente dans de nombreux groupes religieux que dans la société en général, en particulier si le groupe utilise une interprétation littérale de ses textes sacrés (Chaves et al. 2021). Cela dit, les groupes religieux locaux en Suisse sont devenus en moyenne plus ouverts aux personnes homosexuelles. En 2008, 63% des groupes permettaient aux personnes homosexuelles d’être des membres à part entière de leur communauté, un taux qui est passé à 75% en 2022. De même, le pourcentage de groupes religieux locaux permettant aux personnes homosexuelles d’être des responsables bénévoles est passé de 36% (2008) à 55% (2022).
L’augmentation de l’acceptation des personnes homosexuelles se retrouve dans l’ensemble du spectre religieux, mais à partir de niveaux très différents en 2008. Le graphique 3 montre l’évolution des différentes traditions religieuses à ce sujet. L’axe vertical représente, la valeur moyenne d’une variable allant de 2 (le groupe accepte à la fois les homosexuel·les comme membres à part entière et comme responsables bénévoles) à 1 (le groupe accepte les personnes homosexuelles uniquement en tant que membres ou uniquement en tant que responsables), en passant par 0 (le groupe n’accepte pas les personnes homosexuelles, ni comme membres, ni comme responsables). La base de la flèche représente la situation en 2008 et la pointe affiche la situation en 2022. Les flèches pointent vers le haut – ce qui signifie une plus grande inclusion des personnes homosexuelles – dans presque toutes les traditions religieuses. Le changement est particulièrement évident dans les traditions catholique, évangélique conservatrice et musulmane. Les communautés bouddhistes et protestantes réformées demeurent les plus ouvertes en la matière.
Graphique 3: Évolution de l’inclusivité à l’égard des personnes homosexuelles par tradition religieuse (2008 et 2022)
Notes:
(1) Début de la flèche : pourcentage en 2008 ; fin de la flèche : pourcentage en 2022.
(2) Les changements sont significatifs au niveau < 0,05 sauf pour les chrétiens orthodoxes, les « autres chrétiens », les juifs, les bouddhistes et les hindous/sikhs.
Inclusivité : plus d’ouverture et de pratique de l’autorité religieuse des femmes
Entre 2008 et 2022, les groupes religieux locaux sont devenus en moyenne plus ouverts au leadership religieux des femmes, en principe et en pratique. Le pourcentage de groupes autorisant en principe les femmes à agir en tant que principaux responsables religieux est passé de 47 % (2008) à 54 % (2022). Le pourcentage de groupes dirigés par des femmes dans la pratique est passé de 12,4 % (2008) à 15,2 % (2022). Ces changements généraux ne sont pas très impressionnants dans leur amplitude, mais ils sont statistiquement significatifs.
Toutefois, ces changements ne sont dus qu’à des évolutions dans certaines traditions religieuses. La plus grande acceptation du leadership religieux féminin est principalement due à des changements dans les traditions évangéliques classiques, évangéliques conservatrices, autres chrétiennes et dans au sein des « autres groupes religieux ». L’augmentation du leadership féminin dans la pratique est principalement due à des changements chez les protestant·es réformé·es, les évangéliques classiques et les bouddhistes. Plusieurs traditions religieuses montrent peu ou pas de changement, voire une baisse de l’acceptation du leadership religieux des femmes en principe ou en pratique. C’est le cas des évangéliques conservateur·ices, des chrétien·nes orthodoxes, des musulman·es, des hindou·es et des sikhs (voir les graphiques A1 et A2 en annexe).
Les traditions religieuses qui ont principalement modifié l’acceptation par principe du leadership religieux des femmes ne sont pas les mêmes que celles qui ont principalement modifié la pratique. Comment expliquer cela ? Pour répondre à cette question, nous observons les dénominations/fédérations religieuses séparément (en ne sélectionnant que les groupes locaux dont les dénominations ont fait l’objet de plus de 7 observations).
Le graphique 4 montre un schéma séquentiel très clair : dans un premier temps, le pourcentage de groupe local au sein d’une dénomination affirmant qu’une femme peut, en principe, être une leader religieuse augmente. Ensuite, dans un deuxième temps, le nombre effectif de femmes occupant des postes de direction religieuse croît. Cela signifie qu’il faut du temps pour que les groupes religieux locaux réunis au sein d’une fédération adoptent une vision commune selon laquelle les femmes peuvent occuper des rôles de leadership religieux. Ce n’est que lorsque cette vision est largement partagée que le processus de nomination de femmes à des postes de direction peut réellement commencer – un processus qui, lui aussi, prend du temps.
Graphique 4: Ouverture de principe au leadership féminin et leadership féminin effectif dans différentes fédérations (2008 et 2022)
Notes :
(1) Seules les dénominations ayant au moins 8 observations pour chaque axe sont affichées.
(2) Base de la flèche : pourcentage en 2008 ; pointe de la flèche : pourcentage en 2022.
(3) Nous avons étendu la valeur de 100 % sur l’axe des x et la valeur de 0 % sur l’axe des y à de petites plages, afin de rendre les flèches plus lisibles.
Conclusion
Cette étude a présenté deux résultats clés concernant les changements dans le paysage religieux au niveau des groupes religieux locaux en Suisse.
Premièrement, la tendance à la sécularisation se poursuit, non seulement dans les Églises chrétiennes reconnues (protestantes réformées et catholiques), mais aussi dans le reste du champ religieux. Le nombre total de groupes religieux et de participant·es aux rituels religieux chaque week-end a diminué. L’âge moyen des dirigeant·es et des membres a augmenté – plus que celui des groupes comparables dans la société en général. Il est surprenant de constater que ce phénomène se retrouve non seulement dans les églises chrétiennes reconnues (catholiques, réformées-protestantes), mais aussi au sein des groupes chrétiens non reconnus et non-chrétiens. Ce résultat contredit l’idée que la sécularisation est un phénomène propre aux grandes églises reconnues. Il convient toutefois de noter qu’il existe des exceptions : à titre d’exemple, les églises orthodoxes sont en pleine croissance. L’importance de ces résultats résident dans le fait que les forces de sécularisation semblent affecter le champ religieux de manière plus générale qu’on ne le pensait auparavant.
Deuxièmement, la tendance est à l’inclusivité. Les groupes religieux locaux sont devenus en moyenne plus ouverts à la possibilité d’avoir des membres et des dirigeant·es homosexuel·les et à la possibilité et à la pratique du leadership des femmes. Ces tendances sont significatives, mais ne sont visibles que pour certaines traditions religieuses. Si l’on se concentre sur les dénominations (fédérations), on constate une séquence claire : dans un premier temps, les dénominations deviennent plus ouvertes au leadership religieux féminin. Une fois le principe reconnu, elles passent à une deuxième étape en attribuant des postes de direction à des femmes. Ces résultats fournissent des indications claires d’un mouvement vers une inclusivité accrue dans le domaine religieux, y compris parmi les traditions religieuses réputées conservatrices, bien que ces changements s’opèrent lentement.
Bien entendu, cette étude ne porte que sur les changements survenus entre deux points temporels spécifiques. Il reste à voir si les tendances identifiées demeurent sur le long terme.
D’autres résultats concernant les changements relatifs à l’engagement environnemental croissant des groupes religieux locaux, à l’augmentation des activités caritatives domestiques et aux changements dans le style rituel peuvent être consultés sur le site www.congregation.ch.
Annexe
Note sur le comptage des groupes
La définition des groupes religieux locaux a été appliquée de manière similaire en 2008 et en 2020. Son application a toutefois changé dans deux cas spécifiques. En 2020, nous avons décidé de compter également les groupes linguistiques des Témoins de Jéhovah et les missions catholiques comme des groupes religieux locaux à part entière. Pour rester cohérent, nous avons donc dû réajuster le décompte pour les données de 2008.
Note sur les traditions religieuses
Nous utilisons une variable de tradition religieuse à 12 niveaux. Elle comprend les catégories suivantes : (1) catholique romain ; (2) protestant réformé ; (3) évangélique classique ; (4) évangélique charismatique ; (5) évangélique conservateur ; (6) chrétien orthodoxe ; (7) autre chrétien ; (8) juif ; (9) musulman ; (10) bouddhiste ; (11) hindou/sikh ; (12) “autres”. Dans cette catégorisation, les “catholiques” sont exclusivement des catholiques romains. Les catholiques christiques, un groupe très restreint mais reconnu, sont codés comme “autres chrétiens”. Les évangéliques sont divisés selon des frontières théologiques. Les groupes locaux néo-piétistes, dont la plupart ont été fondées au XIXe siècle, sont appelées “évangéliques classiques”. Les groupes religieux locaux littéralistes/fondamentalistes sont appelées “évangéliques conservateurs”, et les groupes charismatiques et pentecôtistes sont appelés “évangéliques charismatiques”. Nous avons fusionné les sikhs avec les hindous pour des raisons pratiques, car il n’y a qu’un seul groupe sikh dans l’ensemble des données de l’enquête. Notre variable “tradition religieuse” n’implique pas le même niveau de spécificité pour toutes les religions, étant donné que les religions, les traditions et les sous-traditions comptent un nombre très variable de groupes, tant dans nos échantillons d’enquête que dans les populations des recensements.
Graphiques supplémentaires
Graphique A1: Pourcentage estimé de participants réguliers âgés de plus de 60 ans par tradition religieuses (2008 et 2022)
Notes :
(1) Début de la flèche : pourcentage en 2008 ; fin de la flèche : pourcentage en 2022.
(2) Les changements sont significatifs au moins au niveau alpha < 0,05 sauf pour les évangéliques conservateurs, les chrétiens orthodoxes, les « autres chrétiens », les juifs et les musulmans.
Graphique A2: Ouverture de principe au leadership des femmes selon la tradition religieuse (2008 et 2022)
Notes :
(1) Début de la flèche : pourcentage en 2008 ; fin de la flèche : pourcentage en 2022.
(2) Les changements sont significatifs au moins au niveau alpha < 0,05 uniquement pour les évangéliques classiques, les « autres chrétiens » et les « autres ».
Graphique A3: Pratique du leadership religieux féminin selon la tradition religieuse (2008 et 2022)
Notes :
(1) Début de la flèche : pourcentage en 2008 ; fin de la flèche : pourcentage en 2022.
(2) Les changements sont significatifs au moins au niveau alpha < 0,05 uniquement pour les réformés, les évangéliques classiques et les musulmans.
Financement
Les deux vagues de l’étude nationale sur les groupes religieux locaux en Suisse ont été financées par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.
Numéro de subvention FNS de la première vague : 4058-115719
Numéro de subvention FNS de la deuxième vague : 100015_192499 / 1
- Le premier recensement a eu lieu entre 2008 et 2009, tandis que le second s’est déroulé entre 2020 et 2021. Par souci de simplicité, nous ne ferons référence qu’aux années 2008 et 2020 lorsque nous parlerons des recensements et de leurs résultats. ↑
- La première enquête s’est déroulée de 2008 à 2009, tandis que la seconde s’est déroulée de 2022 à 2023. Les enquêtes et leurs résultats sont désignés uniquement par les années « 2008 » et « 2022 ». ↑
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